Valorisation des archives

Colloque de l’université de Bourgogne, « Archives des sociétés en mouvements, regards croisés : archivistes et chercheurs

       Intervention de Michel Maso, directeur de la Fondation Gabriel Péri,  

Il a été convenu, avant l’été, quand la Fondation Gabriel Péri à été sollicitée pour être partenaire de ce colloque, que j’y interviendrais sur le thème : « Valorisation des archives et travail de mémoire. » Je reviendrai dans un instant sur cet intitulé. Mais auparavant, sans doute me faut-il consacrer un peu de temps à présenter la fondation Gabriel Péri. C’est d’autant plus nécessaire qu’elle est de création récente : c’est le 23 juillet 2004 qu’un décret du Ministère de l’Intérieur portant reconnaissance de son utilité publique a été publié au Journal Officiel de la République. Ce décret intervenait quelques 18 mois après la décision du Parti communiste de procéder à la création d’une fondation. J’y insiste : il s’agissait de créer une fondation, et non pas de « se doter d’une fondation ». Car la loi de 1984 relative au mécénat et aux fondations stipule que ces dernières, une fois installées - c’est-à-dire une fois réputées d’utilité publique - doivent être rigoureusement indépendantes de leurs créateurs. C’est valable pour toutes les fondations, indépendamment de leur objet, et donc aussi pour les fondations à vocation politique. Autrement dit, la fondation Gabriel Péri est rigoureusement indépendante du PCF, dans ses choix, dans son administration, dans tous les aspects de son fonctionnement. Cette disposition est manifeste dès la composition du Conseil d’administration qui comporte 16 membres, dont 5 seulement sont désignés par le Parti communiste.
J’ajoute qu’il compte aussi 4 représentants d’autant de ministères (Affaires étrangères ; Intérieur ; Éducation ; Culture et Communication) et que le budget de la fondation est abondé quasi exclusivement par des subventions publiques.
Pour conclure sur les points que je viens d’évoquer, je dirai, qu’en la circonstance, il y a lieu de se réjouir du contenu de la loi : la condition de la crédibilité et de l’efficacité du petit nombre des fondations à vocation politique - il n’y en a que quatre en France - est dans le respect scrupuleux des exigences qu’elle nous impose. Cela dit, nous ne mettons pas de « faux-nez » : la fondation Gabriel Péri a été créée par le PCF et elle est naturellement proche de la sensibilité communiste, dans sa diversité.
On me pardonnera ce détour, mais il m’a semblé indispensable pour éclairer la suite de mon propos.
La fondation Gabriel Péri s’est fixé deux objectifs essentiels.
Elle entend d’abord contribuer à l’animation du débat d’idées, en France et au-delà de notre pays, entre celles et ceux, progressistes de diverses sensibilités, qui veulent agir, selon les termes du préambule de nos statuts au service « d’un travail rigoureux d’intelligence des mutations de notre époque et des mobilisations citoyennes pour le progrès humain qu’elles peuvent susciter ». Elle veut aider, dans une démarche pluraliste de confrontation et d’élaboration, à l’émergence d’idées novatrices en politique. Sur ce sujet, qui peut vous paraître très ambitieux, ou très approximatif, je n’en dirai cependant pas davantage, cela serait hors sujet.
Le sujet, précisément, j’y reviens. Notre second objectif est de « contribuer à la valorisation des archives du communisme français et au travail de mémoire. »
Dans le préambule de nos statuts nous disons ceci : « L’histoire contemporaine de la France (...) est riche en événements politiques, sociaux, culturels, démocratiques, dont les enseignements peuvent être précieux. Le Parti communiste français en est depuis 1920 l’un des acteurs. Au-delà de toute historiographie "officielle", et en refusant toute instrumentalisation au profit d’une idéologie ou d’une organisation, une étude approfondie et réellement contradictoire de cette histoire jusque dans ses prolongements actuels s’impose. »
Je ne suis pas archiviste. Et si, un temps, j’ai eu un peu affaire avec l’histoire, tout ce que j’ai entendu ici depuis hier m’incite à la modestie. Toutefois, j’ai envie de réagir à ce que Serge Wolikow a, me semble-t-il, appelé « le besoin d’histoire ». Depuis longtemps, les controverses sur l’histoire ont occupé une large place dans la vie politique française, avec souvent des impacts forts sur la politique. D’où, justement, la nécessité plus forte que jamais du respect des fonctions spécifiques de la politique et de l’histoire, sans quoi l’effort complexe de connaissance rigoureuse du passé est compromis, quand ce n’est pas manipulé à des fins de conjoncture. Cela a existé, notamment dans le mouvement communiste. Et notamment dans le communisme français.
Mais cela n’a pas altéré, fort heureusement, le « besoin d’histoire ». Et ce, tout particulièrement, et de façon spécifique, chez un très grand nombre de communistes. Leur culture politique les a convaincus qu’il faut bien, pour être efficace en politique, faire effort de compréhension et de lucidité sur le passé, sur des évolutions antérieures, sur des conceptions qui ont prévalu des décennies durant, sur des choix effectués et leurs implications en longue durée, autrement dit sur l’histoire.
Je dis cela pour tenter d’éclairer le second membre de l’intitulé de cette intervention, le « travail de mémoire ». Nous voulons, dans la mesure de nos moyens, aider à recueillir ces archives vivantes que peuvent être les paroles de celles et ceux - ils sont des milliers - qui n’ont rien conservé - ni notes ; ni réflexions personnelles à un moment couchées sur le papier ; ni compte-rendu de réunions - et qui, cependant, ont beaucoup à dire et à procurer, en termes de matériaux utiles, aux historiens. J’ajoute que dans la famille communiste, très nombreux sont celles et ceux qui, solitaires, dans une ville, ou à l’échelle d’un département collectent, rassemblent des documents et des témoignages. Tout cela est bien sûr d’inégal intérêt, d’inégale qualité et c’est normal ; mais dans tout cela il y a forcément, si l’on veut bien s’y intéresser, beaucoup à extraire pour un renouvellement du travail historique sur le communisme en France et sur le parti communiste.
Dans son propos, Frédéric Genevée déplorait la difficulté d’accès aux archives d’un certain nombre de dirigeants communistes s’étant éloignés du Parti communiste, parfois jusqu’à le combattre. Je crois qu’il a raison quand il évoque la nature des préventions de ces anciens dirigeants à l’égard des demandes que peut leur adresser le PCF « ès qualité ». Le fait que ces archives soient désormais conservées par les archives nationales contribuera, on peut l’espérer, à lever ces préventions. Et peut-être aussi une fondation comme la fondation Gabriel Péri peut-elle les inciter à apporter leur contribution à une recherche historique qui leur apparaîtra dépourvue d’arrières pensées politiques. Le sujet est difficile, et peut-être la mission impossible. Mais cela vaut la peine d’y réfléchir, et de tenter quelque chose. Disant cela, je réagis un peu « dans l’instant » à la préoccupation de Frédéric Genevée, et j’ai bien conscience de ne pas y apporter une solution « prête à porter ». Simplement, j’ai voulu ainsi indiquer - comme avec ma première remarque - la disponibilité de la fondation à aider ce que j’ai nommé le « renouvellement de la recherche » dans le domaine qui nous occupe, qui occupe tout particulièrement celles et ceux réunis à la faveur de ce colloque. Pour essayer de travailler à cela, la Fondation a créé un secteur spécifique. Nous nous sommes assurés le concours d’un certain nombre d’historiens et d’archivistes. Soyons clairs : tout cela est encore bien modeste - la fondation n’a qu’un an d’existence - et ne prétend en aucun cas au statut de « pierre de touche » de la recherche. Une telle prétention serait en complète contradiction avec ce que j’ai essayé de vous dire précédemment. En revanche, j’ai la conviction que la fondation Gabriel Péri peut apporter un « plus » aux efforts des chercheurs dont l’ambition est d’approfondir la connaissance de la longue histoire du communisme français et, dans ce cadre, du parti communiste français.
C’est ainsi que, parmi quelques projets en chantier, nous avons celui de l’édition d’un CD-ROM, accompagné d’un livret de contextualisation, consacré à « Aragon, dirigeant politique ». Ou bien encore d’un catalogue des affiches communistes - sur une période ou sur un thème particulier : ce n’est pas encore tranché - pour permettre de donner un débouché à un travail débuté il y a quelques années et annulé faute de moyens. Au début de cette année, nous avons pris part à ce qu’il faut bien appeler une « opération de sauvetage, » en organisant matériellement le déménagement de la Bibliothèque Marxiste de Paris, riche de milliers de revues du mouvement communiste et du mouvement ouvrier en général. Il reste à préserver durablement ces revues en travaillant à leur numérisation. Nous sommes également partenaires de cette opération.
Enfin, dès que le Conseil scientifique de la fondation sera installé - j’espère que ce sera avant la fin de l’année - nous envisageons de conduire des actions spécifiques, en collaboration avec d’autres partenaires, pour favoriser et soutenir des travaux de jeunes chercheurs.
Encore une fois, tout cela n’est qu’à l’état d’ébauche au moment où je vous parle.
Mais, et j’espère avoir été convaincant sur ce point, ce qui est certain, c’est que de la posture singulière qui est la nôtre - « établissement public » et, en même temps, issu de la famille communiste - nous avons l’ambition d’aider, d’impulser parfois, des travaux sur le communisme qui méritent à mon sens encore plus d’ampleur. Et ce pour tout le monde : historiens, chercheurs en sciences sociales d’une manière générale, et, au-delà, le public, les citoyens.

Colloque de l’université de Bourgogne, « Archives des sociétés en mouvements, regards croisés : archivistes et chercheurs  (Dijon, 29 septembre - 1er octobre 2005).

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