LA DIPLOMATIQUE

Diplomatique et théorie des genres, complémentaires ?
    La diplomatique revient en force dans le cadre de la préservation de l’information numérique auprès des archivistes et s’étend même dans les réflexions des bibliothécaires, eux aussi de plus en plus confrontés à la nécessité de créer et maintenir des dépôts numériques, notamment pour les thèses ou les publications scientifiques dans le milieu universitaire, et doivent donc se pencher sur la question de l’authenticité, l’intégrité et la stabilité d’un document.

    Selon l’Encyclopedia Universalis, la définition de la diplomatique est la suivante «[…] science qui étudie la tradition, la forme et la genèse des actes écrits en vue de faire leur critique, de juger de leur sincérité, de déterminer la qualité de leur texte, d’apprécier leur valeur exacte en les replaçant dans la filière dont ils sont issus, de dégager de la gangue des formules tous les éléments susceptibles d’être exploités par l’historien, de les dater s’ils ne le sont pas et enfin de les éditer.»

      La lecture de plusieurs articles et ouvrages montre qu’il s’esquisse une série de réflexions intéressantes sur l’évolution de la notion de fixité du contenu et de la forme comme gage d’authenticité et d’intégrité d’un document, confrontant les critères répandus depuis que l’imprimé est entré dans les mœurs. Les repères actuels sont nés il y a peu de temps et ont existé finalement sur une courte période au regard de l’histoire de l’humanité. Ils ne sont peut-être plus aussi pertinents dans le monde numérique qui s’impose de plus en plus.

        C’est dans ce contexte que nous allons faire un rapide état de la question autour de la diplomatique et des concepts connexes appliqués aux documents et à l’information numériques.

       La diplomatique contemporaine s’appuie encore sur une définition traditionnelle du document
Il est difficile de définir un document, et il existe plusieurs définitions de ce terme selon que le point de vue soit technique, juridique ou archivistique. Cependant, on s’entend en général pour reconnaître, particulièrement dans le domaine des sciences documentaires et de l’information, que le document est une information consignée sur un support, créée dans un contexte particulier et ayant une valeur de preuve ou d’information (Mas, 2003). C’est ce que l’on comprend par définition relativement «traditionnelle» du document. Il n’est pas fait référence au fait que dans le contexte du numérique, le document est dématérialisé, c’est-à-dire, que le contenu n’est plus intrinsèquement lié au support physique qui rend possible sa conservation et sa lecture. Ce fait a un impact important sur l’utilité et le rôle de la diplomatique ainsi que dans le débat entourant son application, puisque le document est l’unité d’analyse de cette dernière discipline.

        La diplomatique : un outil pour identifier les caractéristiques d’un document
Née au 17e siècle et utilisée surtout par les historiens et les médiévistes, de science autonome enseignée à l’université, la diplomatique est devenue un outil intégré par d’autres domaines disciplinaires dont l’archivistique. En ce qui nous concerne directement, l’analyse documentaire, un tournant s’est produit à la fin des années 1980, début des années 1990, quand, notamment, Luciana Duranti a permis de faire connaître la méthode en Amérique du Nord et a appliqué cette dernière aux documents contemporains et numériques. Dans une série d’articles parus dans la revue Archivaria de 1989 à 1992, elle situe les origines et définit les concepts de base de la diplomatique pour en démontrer l’application possible aux documents contemporains ; et ce, particulièrement, dans le but d’aider à établir l’authenticité et l’intégrité des documents numériques. Selon elle, un des apports principaux de la diplomatique à la discipline archivistique moderne est la rigueur scientifique et son caractère formateur. Aspects qui permettent aux archivistes d’adopter un vocabulaire précis, dénué d’ambiguïté et partagé par tous. D’un autre côté, elle apporte un cadre méthodologique qui favorise la vérification de la valeur, du contexte de création et de la véracité de l’information (Duranti, 1991-1992).

       La diplomatique : un outil pour valider l’authenticité et l’intégrité d’un document
       La diplomatique en tant qu’étude des documents permet d’analyser les caractéristiques internes (protocole, exposé) et externes (qualité du support physique, mise en page, etc.) du document afin de retracer si ce dernier est authentique et fiable. À savoir, le document est-il bien ce qu’il prétend être et son contenu est-il bien le message qui devait être transmis ? Ce point de vue traditionnel de la diplomatique est revu afin de voir son application s’adapter davantage aux besoins actuels. Ainsi Caroline Williams (2005) rappelle que l’objet de l’analyse diplomatique a dû être élargi en raison de l’évolution des besoins et ainsi :

o include informal documents as well as formal;
o encompass aggregations of documents as well as individual ones;
o consider the organisations and systems producing documents as well as the documents themselves;
o enable prospective as well as retrospective analysis;
o encompass electronic as well as paper-based systems.
(Williams 2005, 4)
Élargissement de cadre qu’elle trouve possible avec la définition de la diplomatique énoncée par Luciana Duranti: «Diplomatics is the discipline which studies the genesis, forms and transmission of archival documents, and their relationship with the facts represented in them and with their creator, in order to identify, evaluate, and communicate their true nature.» (Williams 2005, 4)

     Aussi, une partie du débat tourne justement autour de la portée de la diplomatique. Doit-elle concerner uniquement les documents formels et ayant valeur de preuve, ou, comme on a tendance à le comprendre aujourd’hui, être inclusive et intégrer toute la panoplie des nouvelles formes et types de documents qui prolifèrent dans le monde numérique, «[…] permitting records of an informal, personal, non-juridical nature to be the subject of analysis ?» (Williams 2005, 6). De son côté, Heather MacNeil explique que «[t]he archival-diplomatic analysis of an electronic record is a process of abstraction and systematization that eliminates the particularities and anomalies of records in the interest of identifying their common, shared elements» (MacNeil 2004, 224).

       Le champ d’application de la diplomatique a commencé à changer en Europe continentale (hors Royaume-Uni) autour des années 1960 pour toucher tous les documents se trouvant dans des archives historiques. Enfin, plus récemment, avec l’apparition des lois sur l’accès à l’information et la protection des données dans les pays occidentaux, il s’avère que «any document or record produced for business purposes must be able to stand up to scrutiny. It must be able to demonstrate such qualities as authenticity, reliability, integrity and usability, transparency and compliance if it is to support the business effectively, and it is these qualities that the science of diplomatic has always aimed to analyse» (Williams 2005, 8). Dans ce contexte, la méthode de la diplomatique permet de construire un prototype d’outil analyse universel, et ce, d’autant plus applicable aux documents numériques si l’on insère, dès la création de ces derniers, les éléments permettant d’évaluer leur authenticité, leur fiabilité et leur intégrité et de favoriser leur préservation.

      Dans une autre perspective, certains auteurs s’interrogent sur l’utilité de la diplomatique pour garantir l’authenticité, mais également sur la pertinence de déterminer l’authenticité des documents numériques. Comme, par exemple, Jean-Daniel Zeller qui déclare que la diplomatique efficace quand «les objets numériques sont stables et circonscrits, elle est considérablement moins utile dans l’analyse des systèmes électroniques contenant des objets numériques qui se comportent différemment, c’est-à-dire, des systèmes dans lesquels les entités numériques sont fluides et moins faciles à circonscrire.» (Zeller 2004, 103)

        Il ajoute que «[b]ien que nous ayons essayé de l’adapter aux réalités de la conservation du document contemporain, la diplomatique reste enracinée dans une conception très traditionnelle de ce qu’est un document et est donc limitée dans sa capacité d’étendre la palette de compréhension de la nature des différentes sortes de systèmes électroniques et de la variété des entités contenues dans celles-ci.» (Zeller 2004, 103)

     Il s’avère que l’authenticité se déplace vers un tiers de confiance et sur la base de relations transactionnelles : «ce n’est pas tant le support qui est une garantie d’authenticité mais plutôt les systèmes de tiers de confiance qui les entourent (les notaires, les banques, les postes, et, pourquoi pas, les archivistes).» (Zeller 2004, 109)

    Question que Luciana Duranti avait en quelque sorte anticipée en précisant que «where records creation is consciously controlled, diplomatics guides the recognition of patterns and facilitates identification, while, where records creation is uncontrolled, diplomatics guides the establishment of patterns, the formation of a system in which categories of records forms are devised, which is able to convey content and reveal procedure. Once a system is established, then its description in a metadata system will have to reflect it by expressly articulating the relationships among record forms, procedures, actions, persons, functions, and administrative structures» (Duranti 1991-1992, 14). Ce qui revient finalement à définir un cadre de référence fixe sur lequel se baser pour évaluer l’authenticité d’un document dont le support ne peut plus être un indice fiable de son intégrité et de sa véracité.

      De la diplomatique à la typologie des documents et au genre d’information
La diplomatique n’est pas le seul terme pouvant relevant du concept d’identification des caractéristiques des documents. Au Québec, on parle plutôt de typologie des documents dont l’usage permet de définir le rôle et les caractéristiques des documents pour pouvoir en déduire la valeur informationnelle (Gagnon-Arguin, 2001).

Selon Jean-Daniel Zeller (2004), une typologie doit être :

o - Simple : c’est-à-dire identifiable par utilisateur non spécialiste.
o - Cohérente : offrir une couverture exhaustive du champ déterminé et assez générique, donc être extensible.
o - Ne pas comporter trop de catégories pour une meilleure convivialité.
Ayant ces caractéristiques, c’est sans doute ce qui fait de la grille d’analyse de Louise Gagnon-Arguin (2001) un outil puissant. Cependant, on remarque que cette typologie s’intéresse particulièrement aux fonctions administratives des documents. De même, la diplomatique «constitutes a broad and deep foundation on which to identify and analyze the necessary and sufficient components of an authentic electronic record in a bureaucratic environment» (MacNeil 2004, 224)

           Vers une nouvelle typologie des documents
       Une autre typologie doit prendre aussi en compte les caractéristiques technologiques pour aborder une nouvelle définition du document qui tiendrait compte de la dématérialisation de ce dernier (Zeller 2004, 104). Dans l’univers analogique, les différents éléments du documents sont intrinsèquement liés au support. Ce n’est pas le cas pour le numérique d’où la nécessité de redéfinir le cadre d’analyse des documents numériques, ce qu’a tenté de faire Louise Gagnon-Arguin (2002) en se donnant pour «objectif […] de poser la question à savoir si ces archives [électroniques] constituent un bloc d’information aussi monolithique que leur appellation le laisse croire ou si elles n’offrent pas certaines caractéristiques particularisant leur contenu, fournissant des axes de différentiation et permettant ainsi une meilleure connaissance de leur valeur et de leur capacité de témoignage» (Gagnon-Arguin 2002, 21). Pour le moment, on en est encore au stade de l’exploration pour trouver les moyens d’identifier les caractéristiques particulières, si elles le sont, des nouveaux documents en émergence, particulièrement en ce qui concerne les documents dynamiques et interactifs que l’on trouve sur le Web mais également de plus en plus au sein des organisations.

       L’idée de reprendre le processus par lequel le père officiel de la diplomatique, Mabillon, a procédé, c’est-à-dire retourner «to those inductive (i.e., «research then theory ») roots» (MacNeil 2004, 226), fait surface chez plusieurs auteurs. Retrouver les premiers pas des médiévistes et étudier un large spectre de documents numériques pour en découvrir les éléments communs et distinctifs est une thématique qui devient récurrente étant donné que le numérique fait renaître la culture du manuscrit (un contenu toujours en mouvement) telle qu’elle existait avant que l’imprimé ne fige le contenu écrit et ses formes, notamment pour des raisons techniques (Curral 2008, 73). Pour que l’approche tire totalement le fruit de ses recherches, il faudrait que plusieurs disciplines, comme la linguistique, la sémiotique, la sociologie, l’administration, et d’autres, collaborent (MacNeil 2004, 228).

     Le genre : une autre grille d’analyse en perspective ?
         En abordant la problématique du point de vue des sciences sociales, nous vient la notion de genre, notamment dans le cadre de l’étude de la communication au sein des organisations. «La définition de genre, entendue dans le sens du genre d’information produite dans les organisations, découle des travaux d’Orlikowsky et Yates de MIT qui ont publié leurs recherches sur le sujet en 1992 et sur lesquelles s’appuient les recherches ultérieures. Pour ces deux chercheurs, un « genre d’information » c’est « socially recognized types of communicative actions – such as memos, meetings, expense forms, training seminars – that are habitually enacted by members of a community to realize particular social purposes » (Yates and Orlikowski, 1992). Ce sont donc des types d’actions de communication socialement reconnus et qui sont utilisés par les membres d’une communauté dans un but social particulier.» (Gagnon-Arguin 2002, 27-28).

           Poursuivant la piste autour de ce concept au sein des sciences documentaires, nous avons trouvé un article de Jack Andersen (2008, 339) qui définit la notion de genre ainsi : «Genres of nonfictionnal prose cover the relationship between forms of communication, human activity and social organization, and how activities are typified by means of genre.» Bien que le regard d’Andersen soit sous l’angle de l’utilité de la théorie du genre dans le cadre de la bibliothéconomie, il semble que cette dernière pourrait également être applicable dans le cadre de l’identification des documents d’un point de vue archivistique. Il s’agit de pouvoir caractériser les documents et les informations transmis et créés pour communiquer dans le cadre d’une activité. C’est donc une autre facette du document qui est étudiée et analysée dans ce cas. Mais elle n’est nullement incompatible avec la notion de document telle qu’entendue par les archivistes. Cette vision permet de compléter l’aspect administratif, légal et financier et les caractéristiques technologiques du document numérique en y ajoutant le caractère social des échanges. Selon, Andersen (2008, 340) «[s]tudying genres would reveal how they and human activity are important organizing factors of communication and knowledge. […] A genre view of these communicative activities would provide a means to examine systematically document production and use and the organization of document production and use.»

        La théorie des genres ne s’intéresse pas aux documents de manière isolée mais selon leur contexte de communication et les moyens de transmission utilisés pour effectuer une tâche donnée. Être capable de définir le caractère du discours est aussi un outil pour déterminer l’authenticité d’un message. À la fin de sa section sur la théorie du genre et ses concepts, Andersen (2008, 354) indique que «[…] genre sets, genre and activity systems, and genre repertoires are powerful analytical tools for examining the organization of texts, works, knowledge, and human activity.» Ainsi, la théorie des genres est potentiellement un outil complémentaire à la diplomatique pour aider à faire évoluer le cadre conceptuel de l’analyse des documents pour leur évaluation et valider leur authenticité.

        Dans le cadre de ce billet, nous n’avons pas approfondi ni exploré plus avant pour bien comprendre cette notion de genre d’information, ni voir, si potentiellement, cela pourrait être une piste qui aiderait les archivistes dans leur travail, à savoir identifier et caractériser des documents (et de plus en plus des informations) au regard de leur contexte de création, tout en étant capable de vérifier si leur valeur informationnelle et de preuve est non seulement pertinent, mais de source authentique.

                                          Conclusion
          Nous remarquons que la diplomatique reste une base méthodologique pertinente et qui peut être adaptée au contexte contemporain. Ses principes sont assez solides pour supporter une évolution et une adaptation dans le temps en même temps que son objet d’étude, le document, se transforme et redevient un objet fluide comme cela était le cas avant l’apparition de l’imprimé. C’est peut-être même de là que vient sa force. Cette discipline n’a nul besoin de l’existence d’un document certifié conforme (qui peut par ailleurs tout de même être factice ou un vrai faux) pour qualifier l’authenticité et l’intégrité d’un document et de l’information qu’il porte. Elle se base sur de nombreux autres critères beaucoup plus malléables et évolutifs. L’ajout d’éléments d’analyse reflétant les aspects technologiques et sociaux des échanges d’information ne remet pas en question le processus de vérification de la validité et de l’authenticité d’un document ou d’une ressource. Car c’est bien d’un processus scientifique et d’une méthode que l’on parle et non d’une technique prisonnière de son environnement.

Karin Michel, M.S.I.
Archiviste, documentaliste, spécialiste en information numérique

Bibliographie
Revue de littérature
Andersen, Jack. 2008. The concept of genre in information studies. Annual review of information science and technology 42 : p. 339-367

Currall, J. and Moss, M. 2008. We are archivists, but are we OK? Records Management Journal 18-1 : p. 69-91.

Duranti, Luciana. 1991-1992. Diplomatics : new uses for an old science (part VI). Archivaria 33, (hiver 1991-1992)

Gagnon-Arguin, Louise. 2002. Les archives électroniques : une mémoire orpheline ou en mutation ? In Actes du 4e symposium du GIRA : p. 21-30. En ligne. www.gira-archives.org/documents/GIRA-2002.pdf

MacNeil, Heather. 2004. Contemporary archival diplomatics as a method of inquiry : lessons learned from tow research projects. Archival Sciences 4 : p.199-232

Williams, Caroline. 2005. Diplomatic attitudes : from Mabillon to metadata. Journal of the Society of Archivists 26, no 1 (avril) : p. 1:24

Zeller, Jean-Daniel. 2004. Documents numériques : à la recherche d’une typologie perdue… Document numérique, (août) : p. 101-106

Sources connexes

Gagnon-Arguin, Louise. 2001. Typologie des documents des organisations : de la création à la conservation. PUQ : 432 pages

Mas, Sabine. 2003. Propos généraux sur la notion du document. Archives SIC, commentaire sur le thème Document : forme, signe et relation, les re-formulations du numérique, 26 juillet 2003. En ligne (d’après Savoirs CDI – le 9 novembre 2008)

Roger T. Pédauque. 2003. Document : forme, signe et médium, les re-formulations du numérique. En ligne. http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00000511.html

2009-08-21 : Suite de la réflexion et de la revue de littérature via le billet La notion de genre(s) : un outil transférable pour l’évaluation des documents numériques sur ce même blogue.

        veuillez nous contacter sur billysodossi@yahoo.fr

Commentaires