philosophie archivistique

3.2.5.2 Ces noms d’organisations tendent, en conséquence, à avoir certaines caractéristiques :
• ils sont non ambigus, biunivoques et explicites ;
• ils sont traduisibles et construits sur le même schéma (voir ci-dessous) ;
• ils sont stables : les changements sont rares et minimes lorsqu’ils se produisent – à moins
que la nature ou le statut de l’organisation ne soient profondément modifiés (suite, par
exemple, à une fusion avec d’autres archives ou à une redéfinition de sa mission).
3.2.5.3 Ils se composent généralement d’un générique (bibliothèque, archives, musée) et d’un
qualificatif (sonore, cinématographique, audiovisuel, etc.) référant à un domaine d’activité ou d’un
mot combinant les deux (cinemateca, phonogrammarchiv), auxquels s’ajoutent un terme définissant
le statut de l’organisation (national, universitaire, etc) et/ou le nom du pays ou de la région.
Exemples :
• Cinémathèque Française
• National Film, Video and Sound Archives (Afrique du Sud)
• UCLA (University of California, Los Angeles) Film and Television Archive
• Osterreichishe Phonogrammarchiv
• National Library of Norway/Sound and Image Archive (Norvège)
• Gosfilmofond (Russie)
• New Zealand Film Archive /Kaitiaki o Nga Taonga Whitiahua27 (NZFA)
• National Archives of Malaysia/ National Centre for Documentation and Preservation of
Audiovisual material (Malaisie)
• Nederlands Filmmuseum
27 Ce nom en maori peut être traduit littéralement par "Gardiens des trésors de la lumière".
- 28 -
• Discoteca di Stato (Italie)
• Library of Congress: Motion Picture, Broadcasting and Recorded Sound Division (MBRS)
Les noms d’institutions, comme d’autres mots, sont souvent abrégés. Le procédé est
particulièrement commode lorsque l’on peut recourir à un acronyme euphonique et facilement
mémorisable. L’abréviation possède, par définition, une forme longue qu’elle invite à découvrir.
3.2.5.4 Certains services d’archives et fournisseurs d’images d’archives ainsi que d’autres
organismes reçoivent un nom de société ou de marque ou encore le nom d’une personnalité,
notamment d’un défunt bienfaiteur. Exemples :
• Walt Disney Archives
• George Eastman House/ International Museum of Photography and Film
• Smithsonian Institution
• Filmworld [bibliothèque de plans d’archives]
• Archimedia [programme de formation pour les archivistes]
• Memoriav [association d’archives audiovisuelles suisses]
• Steven Spielberg Jewish Film Archive
• ScreenSound Australia [Archives cinématographiques et sonores nationales]28
Les noms de sociétés et de marques sont souvent imposés par la maison mère, surtout pour les
archives commerciales. Ils sont parfois utilisés lorsqu’un nom descriptif serait trop difficile à
concevoir. Le contraste peut aussi être voulu. L’inconvénient des noms de personnalités et de
sociétés est qu’ils ne sont pas suffisamment explicites : ils demandent un éclaircissement et la
création d’une image de marque29.
3.2.6 Conservation et accessibilité30
3.2.6.1 La conservation et l’accessibilité sont les deux faces d’une même pièce. Par commodité, ces
concepts seront examinés séparément mais ils sont à ce point interdépendants que l’accessibilité
peut être considérée comme faisant partie intégrante de la conservation.
3.2.6.2 La conservation n’est pas une fin en soi. Elle est nécessaire pour assurer une accessibilité
permanente et serait vaine sans cet objectif. Les deux termes possèdent toutefois une large palette
de sens et les professionnels tendent à leur donner une signification différente selon le contexte dans
lequel ils travaillent. De plus, la nature relativement fragile et éphémère des supports et des
technologies audiovisuelles ainsi que les contraintes juridiques et commerciales qui pèsent sur
l’accessibilité, placent ces fonctions au centre de la gestion et de la culture des archives
audiovisuelles.
3.2.6.3 On peut donc dire que la conservation recouvre l’ensemble des tâches nécessaires pour
pérenniser l’accessibilité des documents audiovisuels en ayant maintenu au mieux leur intégrité.
Elle peut se rapporter à un grand nombre d’opérations, de principes, de comportements,
28 Sur les écueils liés au développement d’une image de marque pour une institution publique, se reporter à l’article
de l’auteur intitulé "A case of mistaken identity: Governance, guardianship and the ScreenSound saga in
Archives and Manuscripts", Journal of the Australian Society of Archivists, Vol. 30, No 1, mai 2002, p 30-46.
http://www.latrobe.edu.au/screeningthepast/firstrelease/fr0902/refr14c.
29 Il existe une abondante littérature sur la création et la gestion de l’image de marque. Le site
www.brandchannel.com constitue une bonne introduction à ce sujet.
30 L’auteur est redevable à Karen F Gracy de sa thèse de doctorat intitulée The imperative to preserve: competing
definitions of value in the world of film preservation (University of California, Los Angeles, 2001) et en
particulier de son analyse approfondie de la définition du terme conservation (preservation en anglais).
- 29 -
d’équipements et d’activités. La conservation englobe, par exemple, la préservation et la
restauration d’un support, la reconstitution d’une version définitive, la copie et le traitement du
contenu visuel et/ou sonore, la maintenance des supports dans des conditions de stockage
appropriées, la réinvention ou l’imitation de procédés techniques obsolètes, d’équipements et de
cadres de présentation, la recherche et la collecte d’informations pour mener à bien ces activités.
3.2.6.4 On notera qu’en anglais, pour des raisons historiques, le terme preservation (conservation)
est couramment utilisé – même par les archivistes – dans un sens beaucoup plus étroit, comme
synonyme de reproduction ou duplication 31 . Cela tend malheureusement à renforcer l’idée
trompeuse selon laquelle la reproduction d’un support endommagé résout tout alors qu’il ne s’agit
que d’une première étape. La conservation n’est pas une opération ponctuelle mais une tâche de
gestion sans fin. Le maintien à long terme de l’intégrité des enregistrements ou des films – si l’on
parvient à les sauvegarder – dépendra de la pertinence et de la rigueur de la politique de
conservation menée au fil des années par les administrateurs successifs. L’oeuvre de conservation
n’est jamais achevée, au mieux elle est en cours !
3.2.6.5 L’emploi impropre du terme anglais preservation, couplé à la méconnaissance des aspects
pratiques de la conservation, pose un défi de communication aux archivistes, car il fait aussi l’objet
d’une exploitation à des fins commerciales. Par exemple, l’utilisation courante de l’expression
"remastérisation numérique" sur l’emballage des DVD ou des cassettes VHS suggère une opération
beaucoup plus élaborée que la simple reproduction qui a sous doute été effectuée. Les prestations
censées "préserver" des vidéo 8 mm en en faisant une copie sur DVD impliquent plus que le simple
changement de format offert.
3.2.6.6 Le terme accessibilité possède également un large éventail de significations. Il désigne toute
forme d’utilisation d’un fonds d’archives, de services ou de savoirs, notamment la lecture en temps
réel de sons et d’images en mouvement et la consultation de sources d’information sur les fonds et
les collections de sons et d’images en mouvement ainsi que sur les domaines dont ils relèvent.
L’accessibilité résulte soit de l’initiative de l’institution elle-même soit de celle des utilisateurs de
l’institution. Le stade suivant peut consister à fournir des copies de certains documents à la
demande du client.
3.2.6.7 L’imagination est la seule limite à une politique volontariste d’accessibilité. Celle-ci peut
inclure la diffusion régulière de documents d’archives à la radio ou à la télévision, des projections
publiques, le prêt de tirages ou d’enregistrements en vue d’une présentation hors des services
d’archives, la reconstitution de supports de films ou d’émissions qui n’existent plus que dans des
versions partielles ou endommagées, la création de produits à partir des ressources des fonds (CD,
DVD, cassettes vidéo) pour permettre un accès universel aux archives ; la numérisation et la mise à
disposition de documents en ligne ; des expositions, des conférences et des présentations en tout
genre. Pour toutes ces activités, le conservateur joue un rôle essentiel car il doit interpréter ces
documents et les mettre en contexte. Une utilisation impropre de pièces d’archives ou sans mise en
contexte – par exemple, la diffusion ou la vente de copies de mauvaise qualité ou l’erreur consistant
à les passer à une vitesse inadéquate dans les documentaires télévisés – dévalorisent ces pièces et
engendrent une perception erronée de leur nature et de leur portée.
31 Ironiquement, cette acception tire peut-être son origine d’une campagne de sensibilisation du public menée il y a
longtemps par des archives cinématographiques. Cette campagne délivrait le message clair et fort selon lequel la
seule façon de conserver (c’est-à-dire de sauvegarder) les films en nitrate endommagés était de les copier sur un
support en acétate : "nitrate won’t wait". S’il s’agissait d’un cri d’alarme pertinent à l’époque et qui s’est avéré
efficace, nous savons maintenant que la réalité est plus complexe et, en conséquence, plus difficile à faire
comprendre. Les vieilles idées ont la vie dure.
- 30 -
3.2.6.8 Les archives audiovisuelles doivent, sans doute encore plus que les autres institutions de la
collecte et de la conservation, articuler leur politique d’accessibilité autour des réalités
commerciales liées aux droits d’auteur. Pour mettre à disposition leur fonds, il leur faut
ordinairement obtenir l’accord préalable du titulaire des droits d’auteur et, fréquemment, payer les
redevances y afférentes. De nombreux films et enregistrements sont des produits commerciaux
susceptibles de générer des recettes considérables (pour le propriétaire des droits d’auteurs, non pas
pour les services d’archives !) et les archives doivent veiller à ne pas violer ces droits. Le sujet se
complexifie de plus en plus en raison des changements technologiques et les archives sont
contraintes de solliciter régulièrement une assistance juridique.
3.2.6.9 Les services d’archives n’envisagent pas de la même manière leurs missions de
conservation et d’accessibilité selon qu’ils ont un caractère commercial ou non. Dans le second cas,
ils considèrent généralement leur fonds comme des biens culturels : leur volonté d’en assurer la
conservation et l’accessibilité est motivée par des valeurs culturelles et la demande de recherche et
ces éléments influent largement sur la hiérarchie de leurs priorités. Dans le secteur marchand, les
archives relèvent de la gestion des actifs et les priorités en matière de conservation sont déterminées
par les impératifs de la commercialisation, notamment par les calendriers de sortie des CD et des
DVD et de télédistribution.
3.3 Concepts clés
3.3.1 Définition du patrimoine audiovisuel
3.3.1.1 Les documents audiovisuels – les enregistrements, les films, les émissions, etc. tels que
définis ci-dessous dans la section 3.3.2 – relèvent du concept plus large de ce qu’on peut appeler le
"patrimoine audiovisuel". Si les connotations et dénotations attachées à ce concept varient en
fonction des cultures, des pays et des institutions, son essence réside toujours dans le fait que les
archives audiovisuelles doivent mettre en contexte leurs fonds et collections d’enregistrements,
d’émissions et de films en collectant ou développant une série d’articles, d’informations ou de
compétences connexes. La définition suivante32est proposée :
Le patrimoine audiovisuel comprend, sans que la liste soit limitative :
• les productions de son enregistré, productions radiophoniques, productions
cinématographiques, productions télévisuelles ou autres, comprenant des images en
mouvement et/ou des sons enregistrés, que ces productions soient ou non essentiellement
destinées à la diffusion publique ;
• les objets, les documents, les oeuvres et les éléments intangibles ayant un rapport avec
l’audiovisuel, qu’ils soient considérés d’un point de vue technique, industriel, culturel,
historique ou autre, notamment les documents se rapportant aux industries du film, de la
télé et radiodiffusion et de l’enregistrement du son tels que la documentation, les scénarios,
les photographies, affiches, les documents publicitaires, les manuscrits et les artefacts tels
qu’équipement technique et costumes33 ;
32 Cette définition est fondée sur celle initialement publiée dans Time in our hands (National Film and Sound
Archive of Australia, 1985) et revue par Birgit Kofler dans Questions juridiques relatives aux archives
audiovisuelles (UNESCO, Paris, 1991, p. 8-9).
33 Un autre énoncé a été suggéré par Wolfgang Klaue pour la seconde partie de ce paragraphe : "... notamment les
matériels issus de la production, de l’enregistrement, de la transmission, de la présentation et de la diffusion de
documents audiovisuels tels que scénarios, manuscrits, partitions, dessins, articles, photographies, affiches,
- 31 -
• les concepts tels que la perpétuation de savoir-faire et d’environnements en voie de
disparition associés à la reproduction et à la présentation34 de ces documents ;
• les documents non-textuels ou graphiques, tels que les photographies, les cartes, les
diapositives et autres oeuvres visuelles, sélectionnés pour leur valeur propre.
3.3.1.2 En conséquence, presque – sinon – toutes les archives audiovisuelles devraient adapter cette
définition à leurs propres paramètres en définissant, par exemple, un cadre géographique (le
patrimoine d’un pays, d’une ville ou d’une région, etc.), temporel (le patrimoine des années 1930 ou
d’une autre époque) ou une spécialisation thématique (le patrimoine radiophonique en tant que
phénomène social avant l’apparition de la télévision).
3.3.2 Définition des supports, documents et matériels audiovisuels
3.3.2.1 Il y a de nombreuses définitions, et hypothèses, concernant ces termes, auxquels on fait
recouvrir, en combinaison variées : (a) les images en mouvement, tant sur film qu’électroniques ;
(b) la projection sonorisée de diapositives ; c) les images en mouvement et/ou les sons enregistrés
sous différents formats ; (d) la radio et la télévision ; (e) les photographies et graphiques fixes ;
(f) les jeux vidéos ; (g) les CD-ROM multimédias ; (h) tout ce qui est projeté sur écran, (i) tout ce
qui précède. On trouvera ci-après quelques exemples de définitions. Il en existe sans nul doute
beaucoup d’autres. Celles qui suivent sont données à titre purement indicatif pour illustrer l’éventail
existant, sans caution ni commentaire de notre part35.
3.3.2.2 L’éventail inclut d’un côté tout ce qui contient des images ou des sons, et de l’autre les
images en mouvement accompagnées de sons ou la présentation de diapositives sonorisées. De
documents publicitaires, communiqués de presse, documents de censure, instruments tels qu’équipements
techniques, plateaux, accessoires, objets provenant de films d’animation, effets spéciaux, costumes."
34 Klaue propose "à la production, à la reproduction et à la présentation".
35 Définition 1
On entend par documents audiovisuels :
- les enregistrements visuels (avec ou sans bande son), indépendamment de leur support physique et du procédé
d’enregistrement utilisé, tels que les films, les projections fixes, les microfilms, les diapositives, les bandes
magnétiques, les téléenregistrements, les vidéogrammes (bande vidéo, vidéodisques), les disques laser à
lecture optique : (a) destinés à être reçus par le public, soit par la télévision, soit par le biais d’une projection
sur un écran ou par tout autre moyen, (b) destinés à être mis à la disposition du public ;
- les enregistrements sonores, indépendamment de leur support physique et du procédé d’enregistrement utilisé,
tels que les bandes magnétiques, les disques, les bandes sons d’enregistrements audiovisuels, les disques laser
à lecture optique : (a) destinés à être reçus par le public par la radiodiffusion ou par tout autre moyen,
(b) destinés à être mis à la disposition du public.
Tous ces documents sont des documents culturels.
Cette définition vise à englober un maximum de formes et de supports (...) les images en mouvement (...)
constituent la forme classique de document audiovisuel et (...) sont la principale forme explicitement incluse
dans la Recommandation de 1980 de l’UNESCO (...) en fait, les images en mouvement comprennent les
enregistrements sonores.
(Kofler, Birgit, Questions juridiques aux archives audiovisuelles, Paris, UNESCO, 1991, p. 10-13.)
Définition 2
OEuvre audiovisuelle : oeuvre destinée à être à la fois vue et entendue qui consiste en une série d’images
apparentées et de sons les accompagnant, enregistrées sur un support adéquat (...)
(Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, glossaire du droit d’auteur et des droits voisins.)
Définition 3
[Le patrimoine audiovisuel] comprend les films produits, distribués, diffusés ou mis de tout autre façon à la
disposition du public (...) [On entend par film] une succession d’images en mouvement fixées sur un support
(quelles que soient la méthode d’enregistrement et la nature du support utilisé initialement ou en dernier lieu),
accompagnées ou non de sons et qui, lorsqu’elles sont projetées, donnent une impression de mouvement (...)
(D’une première version du projet de Convention européenne relative à la protection du patrimoine audiovisuel -
Projet rédigé par le Comité d’experts sur le cinéma du Conseil de l’Europe à Strasbourg.)
- 32 -
telles définitions peuvent avoir leur utilité dans leur contexte, mais sur un plan philosophique et
pratique, on a besoin d’une définition conforme à la réalité professionnelle et qui fasse valoir le
caractère propre du support audiovisuel.
3.3.2.3 Les termes tels que support, matériel et document tendent à être utilisés de façon
interchangeable. Dans leur sens le plus commun, matériel et support suggèrent surtout un élément
matériel. En revanche, le terme document, tel qu’il est utilisé par l’UNESCO, réfère à la fois à une
composante physique et au contenu intentionnellement créé.
3.3.2.4 En vertu de ce qui précède, nous proposons comme définition professionnelle du document
audiovisuel la formule suivante :
• Constituent des documents audiovisuels les oeuvres comprenant des images et/ou des sons
reproductibles réunis sur un support matériel36, dont :
• l’enregistrement, la transmission, la perception et la compréhension exigent le recours à un
dispositif technique ;
• le contenu visuel et/ou sonore présente une durée linéaire ;
• le but est de communiquer ce contenu et non d’utiliser la technique à d’autres fins.
3.3.2 Le terme d’oeuvre implique un acte intellectuel délibéré et l’on pourrait faire valoir que tous
les films ou enregistrements audio ou vidéo ne répondent pas à un contenu ou un dessein
intellectuels délibérés : le contenu d’un enregistrement sonore pris dans la rue, par exemple, est
contingent. (On peut aussi soutenir l’inverse : le but, le simple fait de placer une caméra ou un
micro pour réaliser un enregistrement, suffit à prouver l’intention intellectuelle.)
3.3.2.6 La notion de diachronie, une oeuvre audiovisuelle ne pouvant être réalisée et perçue que sur
une certaine durée, est difficile à définir, surtout lorsque l’oeuvre est présentée sur un site Internet ou
sur un CD-ROM qui laissent à l’utilisateur le choix de l’ordre de lecture du contenu. Il reste que les
images et les enregistrements sonores, aussi courts soient-ils, sont par nature linéaires. Ils ne
peuvent pas être perçus instantanément.
3.3.2.7 Étant admise l’éventuelle impossibilité de parvenir à une définition parfaite, toute définition
doit impérativement inclure les enregistrements sonores conventionnels, les images en mouvement
(sonores ou muettes), les émissions radio ou télédiffusées, publiées ou non, sous toutes leurs
formes. Elle doit impérativement exclure le matériel textuel en soi, indépendamment du support
utilisé (papier, microforme, supports numériques, graphiques, diapositives, etc., la distinction
n’étant pas d’ordre technique mais conceptuelle, même si la différenciation technologique joue
aussi dans une large mesure). Elle doit enfin exclure la connotation du terme média, qui fait
intervenir la presse aussi bien que la radio et la télévision. Les programmes de radio et de télévision
– y compris les programmes d’information – sont naturellement à inclure dans la définition du
document audiovisuel.
3.3.2.8 Entre les deux extrêmes susmentionnées figure une gamme de matériels et d’oeuvres qui
sont moins automatiquement matière à archivage audiovisuel et qui, selon les conceptions
personnelles, répondront pleinement ou non à la définition proposée ci-dessus. Entrent dans cette
catégorie les jeux vidéo, les CD-ROM multimédias, les cylindres de piano et la musique mécanique,
et "l’audiovisuel" traditionnel constitué par l’association bande magnétique et diapositives. Les CD-
36 Une seule oeuvre peut figurer sur plusieurs supports et, à contrario, un support peut contenir plus d’une oeuvre.
- 33 -
ROM, les jeux vidéo, les sites Internet et autres créations numériques sont, par définition, de
construction non linéaire, et la possibilité d’intervenir ou de "randomiser" la présentation du
contenu du fichier audio ou vidéo est une des bases de leur technologie. Mais les fragments
d’images mobiles ou de sons obtenus, aussi brefs soient-ils, restent en eux-mêmes linéaires, comme
reste en soi linéaire une suite de fragments, intentionnellement ou non.
3.3.2.9 Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue qu’il existe des variations culturelles. Dans certains
pays latino-américains, par exemple, le terme audiovisuel tend à être associé à un très large éventail
de supports visuels non-textuels, qui incluent les cartes, les photographies, les manuscrits, les sites
Internet et d’autres types d’images, collectés pour leur valeur propre et en tant que matériels relatifs
à des documents audiovisuels au sens de la section 3.3.2.4 (voir aussi ci-dessus la définition de
patrimoine audiovisuel). En Europe, en revanche, le sens de l’adjectif audiovisuel est plus étroit.
3.3.3 Définition des archives audiovisuelles
3.3.3.1 Il n’existe pas aujourd’hui, peut-être pour des raisons historiques, de définition succincte et
normalisée des archives audiovisuelles. Les statuts de la FIAT, de la FIAF et de l’IASA exposent de
nombreuses caractéristiques et attentes, mais ne donnent pas de définition de l’institution en ellemême.
Ceux de la SEAPAVAA (1996) définissent tant le terme d’audiovisuel que d’archives par
rapport aux compétences de ses propres membres. Citons :
Article 1, b) : Audiovisuel s’applique aux images en mouvement et/ou aux sons enregistrés sur
film, bande magnétique, disque ou tout autre support connu ou encore à inventer.
Article 1, c) : Archives désigne un établissement ou un service d’un établissement consacré à la
collecte, à la gestion, à la conservation et à la consultation ou l’utilisation d’une
collection de documents audiovisuels et de matériels liés à ceux-ci. Ce terme
s’applique aux organismes gouvernementaux et non gouvernementaux, commerciaux
et culturels, qui remplissent ces fonctions. Le règlement [statutaire] peut prescrire
l’application précise de cette définition pour déterminer l’admissibilité en tant que
membre.
3.3.3.2 Nous proposons donc la définition suivante comme point de départ :
Les archives audiovisuelles sont un établissement ou un service d’un établissement qui a pour
mission statutaire ou autre de mettre à disposition un fonds de documents audiovisuels et le
patrimoine audiovisuel en en assurant la collecte, la gestion, la conservation et la promotion.
3.3.3.3 Cette définition renvoie à la section 3.2.6 et à l’idée que la conservation n’est pas une fin en
soi mais un moyen d’atteindre une fin, celui d’une accessibilité permanente. Elle affirme également
que les fonctions de collecte, de gestion, de conservation et de mise à disposition du patrimoine
audiovisuel constituent leur raison d’être et non des activités accessoires parmi d’autres. Le mot de
liaison entre ces termes est et et non pas ou : ces archives accomplissent toutes ces fonctions et pas
seulement certaines d’entre elles, ce qui suppose qu’elles collectent ou aspirent à collecter des
matériels sous une forme adaptée à la fois à leur conservation et à leur consultation.
3.3.3.4 Cette définition doit être appliquée avec discernement et non de façon dogmatique. Il existe,
par exemple, une différence entre un service d’archives audiovisuelles qui a une mission de
conservation et une bibliothèque de distribution de documents cinématographiques, vidéo et audio
qui remplit une fonction d’accessibilité mais non de conservation. En pratique toutefois, cette
dernière peut évoluer et devenir un service d’archives : si ses fonds se révèlent précieux ou uniques,
l’optique change. Encore une fois, les collections privées, qu’elles soient ou non considérées
- 34 -
comme des établissements, sont de facto des archives si elles sont gérées conformément à la
définition proposée.
3.3.3.5 La typologie des archives audiovisuelles (voir section suivante) révèle de nombreuses
différences en termes de fonctionnement et de priorités. Certaines archives audiovisuelles, par
exemple, sont axées sur un type de support (film, radio, télévision, enregistrements sonores), tandis
que d’autres se consacrent à plusieurs. Certaines couvrent un vaste éventail de contenus, alors que
d’autres se spécialisent ou privilégient un centre d’intérêt particulier. Enfin, il existe des archives
audiovisuelles publiques et privées, commerciales ou à but non lucratif. L’important est la fonction,
non les politiques qui en régissent l’exercice. Ainsi, certaines archives audiovisuelles d’entreprise
ne sont pas ouvertes au public, leur accès étant réservé aux clients "maison". A l’inverse, certaines
archives publiques ou institutionnelles choisissent d’ouvrir leur fonds aux simples usagers, mais
non aux entreprises commerciales. Dans les deux cas, la fonction de communication est
fondamentalement la même.
3.3.4 Définition de l’archiviste audiovisuel
3.3.4.1 Si des expressions comme "archiviste de films", "archiviste son" et "archiviste audiovisuel"
sont couramment utilisées dans la discipline et dans sa littérature, aucune définition officielle de ces
termes n’a été adoptée, que ce soit par les associations professionnelles, par l’UNESCO ou par la
profession elle-même. Ces termes recouvrent traditionnellement des concepts souples et subjectifs
dont la signification est naturellement différente selon les personnes : ils désignent plus une identité
ou une perception personnelle qu’une qualification explicite.
3.3.4.2 Pour preuve, l’AMIA, l’Association of Moving Image Archivists, est ouverte à "toute
personne, institution, organisme ou entreprise intéressés", sans qu’une autre qualification soit
requise37. La qualité de membre individuel de l’IASA est offerte aux "personnes travaillant à titre
professionnel dans des archives ou d’autres institutions conservant des documents sonores ou
audiovisuels, ou aux personnes s’intéressant de façon sérieuse aux buts déclarés par
l’Association"38. (le terme archives n’étant pas précisé davantage). La SEAPAVAA accepte comme
membre quiconque "souscrit aux objectifs de l’Association et en accepte le règlement". Le candidat
doit préciser l’institution à laquelle il est attaché, présenter un curriculum vitae et se faire
recommander par un membre actif39. La FIAF et la FIAT ne sont pas ouvertes aux personnes
physiques.
3.3.4.3 Des cursus universitaires délivrent maintenant des diplômes en archivistique
cinématographique, audiovisuelle ou de l’image en mouvement. Leur nombre est encore restreint
mais il s’accroît chaque année. Pour les diplômés de ces cursus, l’identité de l’archiviste est à la fois
une affaire de qualifications universitaires et de perception personnelle.
3.3.4.4 Dans ce contexte, nous proposons la définition suivante :
Un archiviste audiovisuel est une personne formellement qualifiée ou certifiée en tant que tel, ou
un professionnel employé par un service d’archives audiovisuelles à la constitution, à la gestion,
à la conservation ou à la mise à disposition des fonds de ce service ou encore à l’accueil de sa
clientèle.
37 Source: AMIA, annuaire 2002.
38 Source: statuts de l’IASA adoptés le 8 décembre 1995.
39 Source: statuts et règlements de la SEAPAVAA , adoptés le 20 février 1996.
- 35 -
3.3.4.5 Les archivistes audiovisuels en exercice viennent d’horizons divers. Certains disposent de
titres universitaires, d’autres se sont formés sur le tas pendant de nombreuses années. À long terme,
toutefois, la proportion des diplômés de la discipline augmentera et il faudra aborder la question de
la certification formelle des professionnels par les fédérations, ce qui a été fait depuis longtemps
dans les autres métiers de la collecte et de la conservation : un diplôme de troisième cycle ou une
expérience équivalente devrait en toute logique constituer le minimum requis.
3.3.4.6 Quid de la signification du terme très courant de professionnel ? Pour un bibliothécaire, un
archiviste traditionnel ou un muséologue, il implique une qualification universitaire et la
satisfaction des critères de certification et d’admissibilité établis par les associations
professionnelles. Dans le paysage plus jeune de l’audiovisuel, le terme suppose un niveau
comparable de formation, d’expérience ou de responsabilités – y compris la prise de positions et de
décisions qualitatives dans l’un quelconque des domaines d’activité des archives.
3.3.4.7 Les archivistes de l’audiovisuel devraient pouvoir, comme les autres archivistes, les
bibliothécaires et les conservateurs de musées, suivre les spécialisations qui répondent à leurs
possibilités, leurs préférences et leur domaine de connaissance, et se définir en conséquence. Ils
pourraient par exemple, après un tronc commun théorique, historique et technique, choisir de
poursuivre dans le son, le film, la télévision, la radio, le multimédia ou la documentation.
3.3.4.8 Ils pourraient aussi opter pour l’administration, la promotion et la gestion. Un débat sans fin
tourne autour de la question de savoir si la "gestion" et une discipline professionnelle comme
l’archivistique audiovisuelle font appel à des compétences distinctes, voire opposées. Est-il plus
facile de faire d’un archiviste un administrateur ou d’un administrateur un archiviste ? Beaucoup
dans le domaine (nous-mêmes y compris) estiment que les compétences de direction demandées par
les fonctions de gestion, de promotion, de recherche de financements et d’administration font partie
intégrante du bagage professionnel et de la culture des archivistes audiovisuels. On a constaté dans
de nombreux cas que les institutions de collecte et de conservation sont mieux gérées lorsqu’elles
sont dirigées par des professionnels de la collecte.
4 Les archives audiovisuelles
4.1 Historique
4.1.1 L'archivistique audiovisuelle n'a pas de date de naissance officielle. Elle est née de sources
diffuses, en partie sous les auspices d'un large éventail d'institutions chargées de la collecte et de la
conservation d'oeuvres ou de documents, ou d'établissements universitaires et autres, comme un
prolongement naturel de leur travail. Son développement a suivi, avec un certain retard, l'essor de la
popularité et du champ d'action de l'audiovisuel lui-même. Au départ, phonothèques, archives du
film, de la radio puis de la télévision constituaient généralement des institutions distinctes, reflétant
le caractère propre de chaque support et de l'industrie qui lui était liée. A partir des années 1930,
leur identité s'est affirmée avec la création d'associations professionnelles internationales dans
chaque technique 40 . Progressivement, elles ont été aussi reconnues par des organisations
internationales d'archives générales, de bibliothèques et de musées.
40 Si nominalement la FIAF, la FIAT et l'IASA représentent respectivement le film, la télévision et le son, leur
position relative est plus complexe. La FIAT est en effet une association liée à l'industrie de la télévision. La
FIAF est un forum pour les archives non-commerciales du film et de la télévision ayant un rôle plus autonome en
tant qu'établissements publics et gardiens de la culture. L'IASA regroupe des personnes morales et physiques
s'intéressant à la préservation des enregistrements sonores et, souvent, d'autres supports audiovisuels. Certains
services d'archives sont membres de plusieurs fédérations. L'ICA et l'IFLA fournissent une tribune aux archives
audiovisuelles ayant des liens avec le monde de l'archivistique générale et des bibliothèques.
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4.1.2 Les archivistes audiovisuels, en tant que groupe professionnel, n'ont pas non plus de date de
naissance officielle. Travaillant dans un domaine en pleine évolution, ils venaient d'horizons très
variés : des métiers de la collecte et de la conservation, du monde universitaire, des industries du
cinéma, de la radio et télédiffusion et de l'enregistrement sonore, des sciences et des arts. Ceux qui
étaient diplômés dans leur domaine d'origine étaient minoritaires. Les archivistes audiovisuels
avaient probablement en commun un sentiment de perte incommensurable et une motivation réelle,
certains montrant même un zèle missionnaire pour enrayer le phénomène.
4.1.3 Dans les premières années du XXe siècle, il n'était pas du tout évident que les
enregistrements sonores et les films aient une valeur durable. Si leur invention était due, dans une
certaine mesure, à la curiosité et aux essais scientifiques, leur essor tenait à leur exploitation en tant
que loisir populaire.
4.1.4 Très tôt, on s'efforça de faire percevoir aux institutions spécialisées de l'époque la valeur des
matériels audiovisuels. En 1899, à Vienne, l'Österreichische Akademie der Wissenschaften créait
ainsi sa Phonogrammarchiv rassemblant des enregistrements sonores ethnographiques (il s'agit
probablement de la première phonothèque du monde, qui fonctionne encore aujourd'hui) 41. A la
même époque, le British Museum tentait de réunir une collection d'images animées en tant
qu'enregistrements historiques, tandis qu'à Washington, la Bibliothèque du Congrès se demandait
quoi faire des premières bobines de pellicule qui lui étaient adressées aux fins de dépôt légal.
4.1.5 Un journal anglais contemporain exposait le dilemme :
"Le film n'était ni une gravure, ni un livre, ni ... – en fait, tout le monde pouvait dire ce qu'il n'était
pas, mais personne ne pouvait dire ce qu'il était. L'objet n'avait pas de place prévue. L'ennui, c'est
que personne ne pouvait dire dans quelle case il pouvait rentrer." (The Era, 17 octobre 1896)
Quelques mois plus tard, la Westminstern Gazette (20 février 1897) donnait cette version :
"... le travail de la salle des gravures du British Museum est totalement désorganisé par la
collection de photographies animées déversées sur ses employés perplexes... dégradant la salle
consacrée à Dürer, Rembrandt et d'autres maîtres [où le personnel] catalogue à contrecoeur “Le
derby du Prince”, “La plage de Brighton”, “Les autobus de Whitehall”, et autres scènes
charmantes qui ravissent le coeur sensible du public des music-halls... sérieusement, cette collection
de pacotille ne devient-elle pas un tantinet absurde ?"
4.1.6 L'audiovisuel n'a pas facilement trouvé sa place dans les principes de travail des
bibliothèques, des archives et des musées du XXe siècle naissant. Malgré des exceptions42, la valeur
de ces oeuvres était largement ignorée43. En 1978, le pionnier des archives cinématographiques de la
Bibliothèque nationale d'Australie, Rod Wallace, évoquait l'époque des années 1950 :
"L'attitude du public à l'égard du matériel historique était très différente alors, surtout dans le
monde du film. Au début, nous nous sommes heurtés à beaucoup d'apathie. On nous considérait
comme des cinglés et on nous l'a dit plus d'une fois. Je n'oublierai jamais ce jour où un plein
théâtre de représentants de l'industrie cinématographique assistait à la projection de vieux films
41 Sa mission était, dès le départ, d'assurer la permanence des enregistrements recueillis, de créer une
documentation pour aider la recherche et de poursuivre un programme. Cela rejoint la définition d'un service
d'archives audiovisuelles donnée à la section 3.3.3.2.
42 Comme l'Impérial War Museum britannique, qui a rassemblé des films à partir de 1919.
43 Une des principales raisons de la négligence des bibliothèques et des archives traditionnelles à l'égard des
matériels audiovisuels était l'inclination de ces professions pour l'écrit. Les canadiens Terry Cook et Joan
Scwartz sont parmi les premiers à avoir mené des recherches sur ce phénomène.
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récupérés par la Bibliothèque : l'un d'eux m'a demandé pourquoi nous n'avions pas mis le lot à la
décharge. Et les autres ont tous acquiescé !"
4.1.7 Les archives cinématographiques, en tant qu'établissements distincts des institutions
traditionnelles, sont apparues d'abord en Europe et en Amérique du Nord, phénomène observable à
partir des années 1930 44 , tandis que les archives sonores, sous un éventail de formes
institutionnelles diverses, évoluaient séparément. Après la Seconde Guerre mondiale, le mouvement
gagna le reste du monde, ici et là, institution par institution, de façon disparate. Lentement et par
étapes, la valeur culturelle des documents audiovisuels obtint légitimité et reconnaissance. Les
progrès de la radio à partir des années 1920, avec le développement des programmes enregistrés et
distribués sous licence, avaient donné naissance à un genre totalement nouveau de matériels à
préserver ; la popularisation du petit écran ferait de même dans les années 1940 pour l'image en
mouvement. Mais l'essor de la télévision a fait plus : il a rendu au public le contenu oublié des
bibliothèques des studios, et sensibilisé une génération à la nécessité de sauvegarder un patrimoine
cinématographique menacé. L'évolution des techniques d'enregistrement du son, et le passage de la
pellicule en nitrate de cellulose à l'acétate de cellulose, ont ajouté aux préoccupations croissantes
concernant la survie et l'accessibilité future de ce patrimoine.
4.1.8 Le travail opiniâtre des archives audiovisuelles face, souvent, à l'indifférence – voire au
refus catégorique – des producteurs de cinéma, de télévision et de disques redoutant de voir leur
matériel déposé passer en d'autres mains, s'est finalement transformé en aubaine pour ces mêmes
producteurs. Les réseaux de télévision, puis les distributeurs audio et vidéo, ont en effet commencé
à exploiter les richesses des archives cinématographiques et sonores mondiales, marquant les débuts
d'une justification économique de la conservation des matériels audiovisuels.
4.1.9 Le paysage actuel est extrêmement complexe, comme en témoigne la typologie proposée
plus bas. L'archivistique audiovisuelle recouvre un vaste éventail institutionnel ; elle ne cesse de se
développer avec les nouvelles possibilités de distribution telles que le câble, le satellite et l'Internet.
De plus en plus de maisons de production et de réseaux de diffusion ont aujourd'hui compris
l'intérêt commercial que présente la protection de leurs fonds et mettent en place leurs propres
services d'archives.
4.1.10 L'histoire de l'archivistique audiovisuelle diffère beaucoup d'un pays à l'autre ; elle est loin
d'avoir été complètement étudiée et relatée (une tâche qui dépasse les limites du présent travail !).
Dans des pays aussi divers géographiquement et culturellement que l'Autriche, la Grande-Bretagne,
la Chine, l'Inde, les Etats-Unis d'Amérique et le Vietnam, institutions et programmes ont déjà une
longue existence. En d'autres lieux tout aussi divers, ils sont de création récente ; dans d'autres, tout
reste à faire. Grosso modo, on peut dire que le patrimoine audiovisuel de l'Amérique du Nord et de
l'Europe est relativement mieux loti, en termes de conservation et d'accessibilité, que celui du reste
du monde.
4.1.11 Les raisons de cette progression inégale sont nombreuses – contexte politique, historique et
économique des pays (et de leur industrie des médias), réalités climatiques (les matériels
audiovisuels s'abîment vite en zone tropicale) et facteurs culturels. La reconnaissance collective de
l'importance de la conservation, alliée à la volonté politique, est essentielle au développement de
l'archivistique audiovisuelle. Mais pour amorcer le mouvement, envers et contre tout, il faut des
pionniers convaincus. Heureusement, il y en a encore.
44 Parmi les premières figurent les Archives centrales du film néerlandaises, créées en 1917, ainsi que les quatre
membres fondateurs de la FIAF, nés dans les années 1930.
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4.2 Champ d'activité
4.2.1 Les services d'archives audiovisuelles, envisagés dans leur globalité, couvrent peu ou prou
le même éventail d'activités que les autres institutions de la collecte et de la conservation. Leur
fonction centrale réside dans la constitution, la documentation, la gestion et la conservation d'un
fonds, avec pour corollaire sa mise à disposition.
4.2.2 Le contenu et la nature du fonds seront définis par une politique, de préférence consignée
par écrit (toutefois, il existe toujours une politique même si elle n'est pas écrite). Le domaine, le
type de supports, les caractéristiques techniques, l'origine, la période couverte, le genre et le statut
juridique au regard des droits d'auteur sont autant d'éléments qui peuvent déterminer le contenu d'un
fonds. On pourvoira à sa documentation, à son administration courante, à sa préservation, à sa
gestion physique et aux aménagements nécessaires à sa consultation. Si la gestion des fonds relève
de la compétence des services d'archives, leur stockage peut être externalisé et effectué dans un
bâtiment hors de la responsabilité des services concernés.
4.2.3 La conservation sera de même assurée par les service d'archives, bien que là aussi certaines
activités ou opérations, comme la duplication, puissent être confiées à des prestataires de services
spécialisés. Lorsqu'un service d'archives recourt ainsi à l'externalisation, il lui appartient de mettre
en place un système de contrôle de qualité pour garantir le respect des normes qu'il a fixées.
4.2.4 Autour de ces activités, se greffe toute une série de fonctions qui varient selon les services
d'archives, leurs politiques, les priorités et les circonstances, mais qui découlent néanmoins de leur
essence. En voici une liste non exhaustive :
• installations de recherche publique, bibliothèques et services connexes ;
• projections publiques, équipements de présentation et programmes connexes ;
• catalogue en ligne ;
• programme d'histoire orale ;
• programme de formation professionnelle ;
• commercialisation de produits réalisés à partir de documents d'archives ;
• programme de publications ;
• prêt de supports et d'objets pour des expositions et présentations à l'extérieur ;
• programme d'évènements culturels : conférences, présentations, festivals, expositions ;
• équipements pour l'accueil du public : boutique, cafétéria, lieux de rencontre.
4.3 Typologie45
4.3.1 Présentation
4.3.1.1 Les modèles institutionnels, les types et les centres d'intérêt des archives audiovisuelles sont
des plus divers. Tout en reconnaissant que chaque service d'archives est unique, et toute typologie à
un certain degré arbitraire et artificielle, la catégorisation peut être utile pour décrire le domaine.
4.3.1.2 Nous proposons de dresser une typologie à partir des critères énumérés ci-dessous qui
permettent de caractériser n'importe quel service d'archives :
45 Le contenu de la présente section s'appuie sur l'article "A brief typology of sound archives" de Grace Koch
(Phonographic Bulletin n° 58, juin 1991) et d'autres sources citées dans cet article, ainsi que sur la typologie des
archives cinématographiques présentée par Paolo Cherchi Usai dans son livre intitulé Burning Passions
(Londres, British Film Institute, 1994).
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• à but lucratif ou non ;
• niveau d'autonomie ;
• statut ;
• public ;
• gamme de supports et équipements ;
• nature et priorités.
4.3.1.3 L'appartenance à une association professionnelle n'a pas été retenue comme élément de
catégorisation, mais certains des critères susmentionnés correspondent à ceux qui sont parfois
requis pour adhérer à ces associations. On notera que de nombreux services d'archives ne sont
affiliés à aucune association.
4.3.2 À but lucratif ou non
4.3.2.1 L'archivistique audiovisuelle est née d'un mouvement culturel qui visait à sauvegarder des
documents pour leur valeur intrinsèque (1.4.7), indépendamment de leur potentiel commercial, en
allant parfois à l'encontre des principes économiques dominants qui conduisirent à la destruction de
films et d'enregistrements "périmés" et en apparence sans intérêt. Cette philosophie originelle
empreinte d'altruisme reste centrale, bien que dans ce domaine comme dans les autres branches de
la conservation du patrimoine culturel, une telle activité ne puisse s'autofinancer et dépende des
subsides publics et des dons.
4.3.2.2 Aux archives à but non lucratif, s'ajoute un nouveau modèle qui devient de plus en plus
courant : celui des archives financièrement autonomes qui tirent des recettes de leur fonds par le
biais de licences, de segmentations, d'adaptations ou d'autres formes d'exercice de leurs propres
droits d'auteur ou de ceux de leurs commanditaires. Ces archives sont généralement des services de
maisons de production, notamment de producteurs de disques, de studios cinématographiques ou de
télédiffuseurs. La multiplication des possibilités d'exploitation des documents d'archives dans des
rétrospectives a redonné de la valeur à des biens auparavant négligés.
4.3.2.3 Les archives nationales publiques constituent l'exemple classique du modèle à but non
lucratif et les services d'archives radiophoniques ou télévisuelles internes à une structure,
l'archétype du modèle à but lucratif. Les premières poursuivent des objectifs altruistes, perçus
comme servant l'intérêt général, quelles que soient les recettes dégagées ou leur coût pour la
collectivité. Les seconds assurent la gestion d'actifs dans le but de générer des revenus ou leur
équivalent en nature. Ces différences d'objectifs et de valeurs ont des répercussions sur toutes les
fonctions des archives, de la politique de sélection et des services de communication aux critères et
méthodes de conservation.
4.3.2.4 Cette distinction fondamentale structure le domaine et ses associations professionnelles. La
FIAF, par exemple, n'accepte pas les institutions à but lucratif tandis que l'IASA et l'AMIA sont
ouvertes aux deux types d'organismes. Qu'ils soient à but lucratif ou non, les services d'archives
accomplissent la même mission – assurer la survie du patrimoine audiovisuel – et, de ce fait,
partagent des points communs et travaillent de concert. Les archivistes peuvent être amenés à
exercer dans ces deux types d'établissements au cours de leur carrière, et les problèmes et les
tensions suscités par les deux systèmes de valeurs soulèvent un débat important dans la profession.
4.3.2.5 Les deux approches ne sont pas complètement incompatibles. Les archives à but non lucratif
se heurtent au fait que la croissance des fonds et des programmes est plus rapide que celle des
subventions. Elles se lancent en conséquence dans des activités commerciales (telles que la
commercialisation de droits ou la sortie de CD et de DVD basés sur des documents d'archives) ou
dans la recherche de sponsors afin de compléter les subventions qu'elles reçoivent. Ce faisant, elles
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développent des compétences utiles de gestion et acquièrent l'esprit d'entreprise. Par ailleurs, les
archives à but lucratif peuvent introduire un certain degré d'altruisme dans la mise en oeuvre des
politiques de sélection, en menant des opérations discrètes de sensibilisation au sein de leur maison
mère.
4.3.3 Niveau d'autonomie
4.3.3.1 Certaines archives sont des établissements indépendants à tous points de vue : elles sont
juridiquement autonomes, bénéficient de financements garantis, sont régies par des statuts et des
principes de gouvernance en vertu desquels elles doivent rendre compte de leurs activités à un
comité ou un conseil ainsi qu'à leurs soutiens et ont toute latitude pour accomplir leurs fonctions.
D'autres sont des services subordonnés à des organisations plus larges, dépendent de financements
conditionnels et possèdent une marge de manoeuvre limitée dans l'exercice de leur mission. Dans la
plupart des cas, les archives disposent d'un degré d'autonomie intermédiaire entre ces deux
extrêmes.
4.3.3.2 L'autonomie est une prérogative très prisée par les archivistes et un minimum d'autonomie
professionnelle est essentiel pour gérer un service d'archives d'une manière efficace et conforme à
l'éthique. Le degré réel d'indépendance dont jouissent des archives est de prime abord difficile à
mesurer : des institutions autonomes en apparence se révèlent être des entités subordonnées à des
organisations plus larges, qui ne disposent que d'une autonomie juridique et pratique limitée. À
l'inverse, des divisions d'organisations jouissent parfois de facto d'une grande liberté d'action.
4.3.4 Statut
4.3.4.1 Ce terme n'est pas employé dans un sens péjoratif ou élitiste mais à des fins purement
pratiques : le statut constitue en effet un critère essentiel pour classer les archives.
4.3.4.2 Le statut géographique définit le territoire qu'un service d'archives couvre ou représente.
Des archives nationales collectent un éventail plus large de documents – mais peut-être de façon
moins exhaustive – et assurent davantage de services que des archives régionales, départementales
ou communales. Elles peuvent également assumer d'autres fonctions pertinentes à l'échelon national
et jouer, par exemple, un rôle de coordination ou de formation.
4.3.4.3 De nombreuses archives publiques ou para-publiques ont un statut officiel : leur rôle et leur
mission sont reconnus par les pouvoir publics, que ce soit dans des textes législatifs ou dans des
dispositions administratives pratiques. Ce statut peut avoir des conséquences sur les mécanismes de
financements (une subvention annuelle stable de l'État), de responsabilité et de contrôle du public.
Elles peuvent bénéficier du système du dépôt légal ou d'autres dispositifs obligatoires.
4.3.4.4 Avec le temps, les services d'archives gagnent en influence et en autorité. Cela résulte peutêtre
des effets conjugués de l'ancienneté de l'institution, de la qualité et du prestige des fonds, de
l'éventail des activités menées, de la notoriété du service et de celles des personnalités qui y
travaillent. Cela peut également être dû à la perception du rôle joué par les archives audiovisuelles
dans le domaine professionnel en général.
4.3.5 Public
4.3.5.1 Les archives peuvent également être définies en fonction des publics auxquels elles
s'adressent. Ce critère rejoint la dichotomie "à but lucratif ou non" abordée plus haut. Les services
d'archives d'un réseau de radio ou télédiffusion, par exemple, auront vraisemblablement pour
mission première de servir les besoins et les stratégies de production internes de la maison mère et
seront sans doute, dans une certaine mesure, intégrés à la production quotidienne et aux opérations
- 41 -
techniques de l'organisation. Les documents archivés pourront être consultés par une clientèle plus
large dans une optique de profit, surtout si le diffuseur en question contrôle les droits d'auteur. La
communication des archives peut même être refusée si elle s'oppose à d'autres objectifs (par
exemple, une stratégie de rediffusion).
4.3.5.2 Les archives à but non lucratif chercheront à servir l'intérêt public et culturel et devront dans
ce cadre satisfaire de nombreuses catégories de clientèle. Les archives à vocation universitaire
devront pourvoir aux besoins des étudiants et des professeurs. Elles constitueront leur fonds et
offriront des services en tenant compte des programmes des différents cursus. D'autres services
d'archives seront à l'écoute des besoins du secteur de la production audiovisuelle, des amateurs de
culture, des chercheurs ou des touristes. Plus un service est important et son champ d'activité, large
et plus les publics qu'il accueille sont divers.
4.3.6 Gamme de supports et équipements
4.3.6.1 Alors que la plupart des institutions de la collecte et de la conservation détiennent
aujourd'hui un large éventail de supports, les archives audiovisuelles (et leurs associations
professionnelles) sont traditionnellement spécialisées dans le cinéma, la télévision, la radio ou les
documents audio pour des raisons autant conceptuelles et culturelles que pratiques. Avec la
convergence technologique des médias audiovisuels, la gamme des supports et des sujets couverts
par chaque service d'archives a eu tendance à s'élargir. La réparation et la restauration des films
requièrent des compétences distinctes de celles nécessaires à la restauration des qualités sonores des
disques en acétate ou des premiers enregistrements sur bande magnétique. De même, une
spécialisation en histoire de l'opéra chinois relève d'un domaine bien différent de celui des films
d'animation hollywoodiens avant l'apparition de la télévision.
4.3.6.2 Il existe d'énormes disparités entre les archives sur le plan de leurs objectifs prioritaires et de
leurs domaines de spécialisation mais aussi de leurs équipements et de leurs moyens. On trouve
ainsi de grands services d'archives dotés de magasins de stockage ultramodernes, de laboratoires de
traitement de films et de documents audio et vidéo, de salles de spectacle et d'auditoriums
spécialisés, de systèmes numériques de stockage de grande capacité, d'installations de recherche
publique, etc. À l'opposé, il y a de petites archives qui ne disposent que de quelques-uns voire
d'aucun de ces équipements, même si elles ambitionnent de les posséder, et sont donc contraintes
d'externaliser certaines tâches, par exemple le stockage de leur fonds ou la duplication de
documents, à des sociétés spécialisés ou à d'autres archives ou institutions. Dans ce dernier cas,
elles doivent mettre en place un système de contrôle de qualité pour garantir le respect des normes
qu'elles ont fixées.
4.3.6.3 Les services d'archives évoluent chacun dans un contexte économique, politique et culturel
particulier : leur rayon d'action et leurs moyens sont donc la résultante de décisions tantôt
pragmatiques tantôt idéalistes. Le champ couvert par une seule institution nationale dans un pays
peut l'être par plusieurs établissements dans un autre, la politique jouant un rôle au niveau intercomme
intra-institutionnel.
4.3.7 Caractéristiques et priorités
4.3.7.1 Au risque d'employer des "étiquettes" simplistes, nous proposons de regrouper les archives
en fonction de leurs caractéristiques et de leurs objectifs prioritaires. Un même service d'archives
peut relever de deux ou plusieurs catégories. Certains, modestes au départ, se sont développés grâce
à une politique d'acquisition et de sélection méthodique. D'autres ont débuté en achetant
d'importantes collections à des particuliers ou des sociétés. Quelques-uns ont été marqués par la
- 42 -
personnalité de leur fondateur dont les inclinations ont déterminé la nature de leur fonds et leur
vocation.
4.3.7.2 Archives de radio et télédiffusion : ce type d'archives réunit essentiellement une sélection
d'émissions de radio et/ou de télévision ainsi que des enregistrements commerciaux, à des fins de
conservation (généralement en tant qu'actif social) ainsi que de diffusion et de production. À
quelques notables exceptions près, beaucoup sont des départements de sociétés de diffusion – des
grands réseaux aux petites stations de radio ou chaînes de télévision publiques tandis que d'autres
sont plus ou moins indépendantes. Leurs collections peuvent comporter aussi du matériel "brut" tel
qu'interviews et bruitages, et du matériel auxiliaire tels que scénarios ou documentation d'émissions.
4.3.7.3 Archives de "programmation" : Certaines archives de cinéma ou de télévision ont pour
particularité de proposer dans leurs propres salles un programme de projection de qualité sur le plan
de la recherche et de la présentation à l'intention du public. Les projections peuvent comporter des
perfectionnements tels que des discours d'introduction, des accompagnements en direct de films
muets et des commentaires sur les programmes et inciter à une recherche de l'excellence dans la
réalisation de copies et dans la présentation. Beaucoup de ces archives exploitent des cinémas
spécialisés pouvant projeter des formats obsolètes et offrant une ambiance contemporaine du
matériel projeté et sont de ce fait en mesure de cultiver l'art de la projection et de mettre en contexte
leurs documents, ce qui est de moins en moins le cas des cinémas commerciaux. Ce type d'archives
a également pour caractéristique de mettre l'accent sur la nature artistique du cinéma46.
4.3.7.4 Musées de l'audiovisuel : ces établissements ont pour mission de préserver et d'exposer des
objets tels qu'appareils photographiques et caméras, projecteurs, phonographes, affiches, produits et
calendriers publicitaires, costumes et souvenirs, ainsi que de présenter des images et des sons dans
le cadre d'expositions publiques, à des fins éducatives ou de loisir. On y trouve souvent des
lanternes magiques et des jouets optiques, illustrant le contexte historique de l'avènement de
l'enregistrement sonore et du cinéma. Dans cette catégorie, les musées du film constituent un
groupe spécifique de plus en plus vaste ; d'autres sont tournés vers la radio ou les enregistrements
sonores. Certaines collections et expositions sont impressionnantes. En un sens, la plupart des
archives audiovisuelles, dès lors qu'elles se chargent de conserver des techniques obsolescentes,
sont des musées de l'audiovisuel.
4.3.7.5 Archives nationales de l'audiovisuel : ces organismes très divers, souvent de grande
dimension, sont chargés à l'échelon national de documenter, de conserver et de rendre accessible au
public l'ensemble, ou une part importante, du patrimoine audiovisuel d'un pays. Ils sont
généralement financés par les pouvoirs publics. Cette catégorie regroupe une forte proportion des
plus grandes et des plus connues des archives cinématographiques, des archives sonores et des
archives télévisuelles du monde. Dans les pays où il existe un dépôt légal, ces archives sont le plus
souvent dépositaires du matériel. La gamme des services offerts est très large, couvrant expositions
publiques, commercialisation, aide aux professionnels et recherches à la demande du secteur privé.
Cette gamme peut comprendre aussi des services techniques et de conseil spécialisés qui complètent
et coordonnent les activités d'autres institutions nationales en matière d'archivistique audiovisuelle.
Leur rôle est analogue à celui des bibliothèques nationales et des archives ou musées nationaux.
Dans certains cas, ce sont des départements de tels établissements, dans d'autres il s'agit
d'organismes autonomes d'importance comparable.
46 Les archives de "programmation", qui suivent les mêmes principes de fonctionnement que la Cinémathèque
française, probablement à l'origine de cette dénomination, sont souvent désignées sous les termes de
cinémathèque ou de vidéothèque. Plus récemment, ces désignations ont été adoptées par d'autres établissements
qui, bien que n'étant pas des archives, proposent des programmes de projection de films de répertoire et d'oeuvres
ayant fait l'objet de mesures de conservation.
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4.3.7.6 Archives universitaires et scolaires : beaucoup d'universités et d'établissements
d'enseignement dans le monde abritent des phonothèques, des archives cinématographiques, des
archives vidéo ou des archives audiovisuelles en général. Certaines ont été créées pour répondre aux
besoins de l'enseignement ; d'autres, pour sauvegarder le patrimoine de la région et de la
communauté de l'université ou de l'établissement concerné ; d'autres encore avec ces deux objectifs.
Plusieurs ont pris une envergure nationale ou internationale, se sont trouvées diverses sources de
financement et ont lancé de grands programmes de conservation, de restauration et de diffusion.
Une partie a suivi la voie de la "programmation" et développé dans ce domaine de fortes
compétences. D'autres ont conservé leur petite taille, se contenant d'occuper une "niche" et
d'approfondir une spécialisation 47.
4.3.7.7 Archives spécialisées et thématiques : il s'agit là aussi d'une catégorie d'archives vaste et
diversifiée, qui ne s'occupe pas du patrimoine audiovisuel en général mais a opté pour une
spécialisation clairement définie, parfois extrêmement précise. Ce peut être un thème ou un sujet,
un lieu, une époque, un film particulier, le support vidéo ou le domaine audio. Certaines archives se
consacrent ainsi au matériel relatif à des groupes culturels, à des disciplines universitaires ou à des
domaines de recherche. On trouve des exemples de collections d'histoire orale, de fonds de musique
populaire, de collections de matériels ethnographiques. La plupart de ces archives sont rattachées à
des organismes plus importants, mais certaines sont indépendantes. Elles sont typiquement
orientées vers la recherche privée ou universitaire.
4.3.7.8 Archives de studio : certaines grandes maisons de production, dans l'industrie
cinématographique par exemple, ont pris conscience de la nécessité de préserver leur propre
production et ont créé en leur sein des unités ou des services d'archivage. À l'instar des archives de
radio et de télédiffusion, leur mission première consiste généralement à gérer les actifs de la maison
de production afin d'en servir les objectifs plus larges. Toutefois, ces archives reçoivent parfois des
ressources importantes pour restaurer ou reconstituer les films, les émissions et les enregistrements
dont on considère que le potentiel commercial justifie ces opérations48.
4.3.7.9 Archives régionales, municipales et locales : Il existe de nombreuses archives qui
fonctionnent généralement à un échelon infranational. Leur existence peut résulter de circonstances
politiques ou administratives particulières, telles que la décentralisation de programmes
gouvernementaux, leurs objectifs étant fixés en conséquence. Elles présentent l'avantage particulier
de pouvoir mobiliser le soutien et l'intérêt des communautés locales, plus sensibles à leur activité
qu'à celle de lointaines institutions nationales ou spécialisées. Des matériels sans prix détenus par
des particuliers peuvent ainsi venir au jour et se frayer un chemin jusqu'à ces archives. De telles
archives sont hébergées par des institutions soutenant leur mission, telles que des bibliothèques, des
organismes culturels, éducatifs ou municipaux.
4.3.7.10 Archives générales, bibliothèques et musées : il s'agit sans doute de la catégorie la
plus large. De nombreuses institutions ont accumulé quantité de documents audiovisuels dans
l'optique d'une conservation définitive. Ces documents, au moment de leur acquisition, faisaient
parfois partie d'une collection ou d'un fonds déjà constitué. Toutefois, il se peut qu'aucun service
audiovisuel, voire qu'aucun professionnel et qu'aucune structure ne s'y intéressent et que leur
conservation et leur accessibilité à long terme posent donc un dilemme.
47 Ces archives diffèrent des fonds audiovisuels courants des universités qui ne sont pas destinés à être conservés.
48 La restauration du classique de 1937 de Disney, Blanche-Neige, à l'aide de technologies numériques en est un
exemple connu. Les sommes investies ont été récupérées sur les droits de rediffusion. Le coût de cette
restauration aurait été prohibitif pour un organisme public.
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4.4 Modèle fonctionnel49
4.4.1 Introduction
4.4.1.1 Une caractéristique déterminante des diverses professions de la collecte et de la
conservation est la perspective spécifique, le modèle ou le regard qu'elles apportent sur l'énorme
quantité de matériels susceptibles de les intéresser, et qui leur permet de sélectionner, de décrire,
d'organiser et de mettre en consultation ces matériels de manière significative. Ces professions ont
de nombreux traits en commun : la constitution de collections, la gestion et la conservation des
matériels collectés, leur mise à disposition du public en sont des éléments habituels. Elles répondent
à des motivations culturelles et à une éthique qui dépassent le mécanique et l'utilitaire ; elles doivent
gérer des demandes concurrentes avec de maigres ressources. Les différences résident dans la façon
d'aborder ces fonctions.
4.4.1.2 Bien qu'influencés par la tradition et l'histoire, ces modèles ne sont pas déterminés pour
l'essentiel par le support physique des matériels : bibliothèques, archives, musées et archives
audiovisuelles abritent tous des supports papier, des supports audiovisuels et des supports
informatiques et, de plus en plus transmettront et recevront des matériels par Internet. Au risque de
simplifier exagérément, nous proposons ci-après quelques comparaisons 50 . Au-delà des
commentaires présentés ici, elles méritent plus ample examen.
4.4.2 Bibliothèques
4.4.2.1 Les bibliothèques, où sont traditionnellement déposés les écrits et les imprimés, sont aussi
des fournisseurs d'information sous toutes ses formes. Elles on en charge des matériels pour la
plupart publiés et/ou destinés à être diffusés, sciemment créés pour informer, convaincre, émouvoir
ou divertir. L'unité de base d'un fonds de bibliothèque est le livre publié, le périodique, le
programme, l'enregistrement, la carte, l'image, le vidéogramme, etc. Bien qu'un même livre puisse
figurer dans la collection de centaines de bibliothèques différentes, chaque collection a son
caractère propre, qui reflète la clientèle, la mission et les politiques de l'établissement, ainsi que la
qualité de ses compétences dans la sélection du matériel. Le catalogage et la bibliographie
permettent le contrôle et la consultation de ce matériel, les informations pertinentes étant l'éditeur,
l'auteur, les domaines traités et la date et le lieu de publication.
4.4.3 Archives
4.4.3.1 Les archives s'occupent des témoins accumulés d'une activité sociale ou institutionnelle. Il
s'agit essentiellement de matériels non publiés, bien que ces témoins forment un ensemble plus
complexe aujourd'hui. Leur intérêt se porte davantage sur les documents constituant des traces
collectives d'activité que sur les oeuvres sciemment créées pour la publication. Ce matériel s'inscrit
dans un contexte précis : le lien avec son auteur, une activité ou d'autres domaines connexes sont les
considérations qui priment, et les collections sont constituées et exploitées sur ces bases. Un dossier
de correspondance archivé, par exemple, peut faire partie d'une série spécifique créée par un organe
gouvernemental dans des circonstances ou à une époque particulières. Le savoir, et utiliser ce
matériel dans ce contexte spécifique, est essentiel pour en avoir une compréhension totale et
correcte. Pour s'orienter, l'usager doit s'appuyer non sur des catalogues, mais sur des instruments de
recherche.
49 Pour la préparation de cette section, nous nous sommes utilement référés à ELLIS J. (dir. publ.), Keeping
Archives, D. W. Thorpe/Australian Society of Archives, 1993.
50 L'ouvrage précité fournit une grille des principales différences entre archives, bibliothèques et musées. Nous
nous en sommes inspirés pour le tableau de l'annexe 2 établissant une comparaison avec les archives
audiovisuelles.
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4.4.4 Musées51
4.4.4.1 Les musées, qui s'occupent plutôt d'objets que de documents ou de publications, remplissent
une mission de collecte, de recherche, de documentation et d'exposition. La conservation y occupe
une place centrale, et la présentation au public à des fins éducatives, dans le respect de certaines
règles et avec une mise en contexte, est leur raison d'être fondamentale. Le recours aux techniques
audiovisuelles pour les expositions est de plus en plus courant.
4.4.5 Archives audiovisuelles
4.4.5.1 Toutes les archives audiovisuelles reprennent certains traits des trois modèles précédents. Le
matériel dont elles ont la charge, par exemple, peut être publié ou inédit : la distinction n'est pas
toujours facile ni importante, et le fait qu'il s'agit d'un "original" (négatif de film, matrice de disque
ou bande mère) compte aussi. Le catalogage et l'inventoriage sont des activités essentielles pour les
archives audiovisuelles comme pour les bibliothèques, les musées et les archives conventionnelles.
Le matériel recueilli ayant un support technologique, il est impossible de séparer sur un plan
conceptuel la technologie de son produit, aussi les compétences muséologiques s'appliquent-elles
ici. Les modes et mécanismes d'accès, par les personnes physiques et les collectivités grandes ou
petites, sont multiples. Certains traits distinctifs sont liés en outre à la nature des documents (voir
section suivante).
4.4.5.2 A l'intérieur de cet amalgame, il y a aussi certains aspects des disciplines traditionnelles qui
sont moins pertinents. Par exemple, les concepts archivistiques de document d'archives, d'ordre
original et de respect des fonds peuvent s'avérer restrictifs pour des archives audiovisuelles, et pas
toujours adaptés à leurs besoins. Les concepts de gestion de l'information et des fonds utilisés en
bibliothéconomie ont des limites. Les services de consultation peuvent être onéreux et le principe de
l'accès public gratuit aux archives et bibliothèques s'avérer peu réaliste et difficile à mettre en oeuvre
du fait des aspects pratiques et des politiques du contrôle des droits d'auteur.
4.4.5.3 Ces comparaisons sont instructives et mériteraient qu'on s'y attarde. Un exemple fictif
l'illustrera. Une émission de télévision a légitimement sa place dans les quatre types d'institution. En
bibliothèque, elle entre dans le cadre de l'information, de l'enregistrement historique ou de la
création intellectuelle ou artistique. Dans un service d'archives, elle sera l'un des éléments du dépôt
d'une organisation, le résultat d'un processus. Dans un musée, elle constituera une oeuvre d'art ou un
objet susceptible d'être exposé. Chacune de ces façons de voir est légitime et appropriée au
contexte : la même oeuvre est considérée sous différents angles selon la discipline concernée, et
traitée en conséquence. L'archivistique audiovisuelle voit les choses d'une manière encore
différente52, tout aussi légitime et appropriée. Son point de vue fait la synthèse de ces disciplines.
51 D'après l'ICOM (Conseil international des musées), un "musée est une institution permanente, sans but lucratif,
au service de la société et de son développement, ouverte au public et qui fait des recherches concernant les
témoins matériels de l'homme et de son environnement, acquiert ceux-là; les conserve, les communique et
notamment les expose à des fin d'études, d'éducation et de délectation." http://icom.museum/hist_def_fr.html.
52 Le grand réalisateur russe et théoricien du cinéma Sergei Eisenstein considérait le cinéma comme "la synthèse
des arts".
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4.4.6 Le modèle de l'archivistique53
4.4.6.1 Des archives audiovisuelles sont à même de considérer cette émission de télévision en tant
que telle et non comme un élément d'autre chose. Elles n'y verront pas d'abord une information, ou
une pièce historique, ou une oeuvre d'art, ou un document d'archives institutionnel. Elles peuvent la
voir comme une émission de télévision, qui est en même temps tout cela et plus, et détermine en
fonction de cela leurs méthodes et leurs services. La nature du domaine audiovisuel et de ses
produits est le premier aspect auquel se réfèrent des archives audiovisuelles, de la même façon qu'il
y a des siècles, la nature même du livre imprimé, en tant que phénomène, a formé le point de départ
des bibliothèques telles que nous les connaissons aujourd'hui.
4.4.6.2 Pour aller plus loin, considérons, par exemple, la manière dont les archives audiovisuelles
traitent les matériels sur papier – périodiques, affiches, photographies, scénarios, etc. – qu'elles
recueillent. Pour la plupart, ces matériels ne sont pas perçus comme tels, mais en tant qu'apportant
une valeur ajoutée aux enregistrements, films ou programmes auxquels ils sont liés. Dans un service
d'archives audiovisuelles, une affiche de film a de la valeur à cause du film auquel elle se rapporte.
Dans une galerie, elle aurait une valeur artistique54.
4.4.6.3 La mesure dans laquelle ce modèle se traduit dans les faits varie selon les circonstances et
les choix du service d'archives. Les archives audiovisuelles indépendantes (qu'elles se consacrent à
un seul ou à plusieurs supports), dotées d'un statut et d'une autonomie comparables à ceux des
grandes bibliothèques et archives ou des grands musées, sont les mieux placées pour mettre ce
modèle en pratique : l'audiovisuel a chez elle le même rang culturel que les techniques qui l'ont
précédé. Les départements d'archives audiovisuelles appartenant à une organisation trouvent un
moyen terme entre ce modèle et l'optique de l'organisation elle-même. Les documents audiovisuels
conservent leur nature quel que soit le contexte institutionnel ; la question est de savoir comment ce
contexte peut, ou doit, rendre intégralement compte de cette nature. (Les bibliothécaires, archivistes
et conservateurs de musées travaillant dans le cadre d'une organisation sont confrontés aux mêmes
problèmes.)
4.5 Perspectives clés de l'archivistique audiovisuelle
4.5.1 Traits caractéristiques
4.5.1.1 Chaque profession porte un regard sur le monde qui lui est spécifique – a son propre point
de vue sur les domaines et les problèmes qui la concernent tout particulièrement – et cela marque sa
différence par rapport au reste de la société. Ce regard caractéristique est tantôt nuancé tantôt
sévère. Les archives audiovisuelles ne font pas exception à la règle. En examinant les traits
distinctifs présentés ci-dessous, le lecteur pourra les comparer avec ceux des autres métiers de la
collecte et de la conservation et noter les différences qui les séparent.
4.5.2 L'industrie audiovisuelle
4.5.2.1 Le milieu de l'industrie audiovisuelle : les archives audiovisuelles appartiennent au monde
des institutions de la collecte et de la conservation et sont conscientes des responsabilités sociales et
53 Ce modèle est le fruit de notre analyse personnelle mais ne récuse nullement la possibilité d'autres opinions ou
modèles conceptuels nourrissant ce débat qui mérite d'être poursuivi. Parmi les récentes publications traitant de
ce sujet, on pourra se reporter à l'essai de Jacques Derrida et de Bernard Stiegler, Échographies de la télévision,
Galilée, Paris, 1996.
54 Cela ne signifie pas que les archives audiovisuelles ignorent la dimension artistique, pas plus qu'une bibliothèque
(par exemple) n'ignore la valeur en tant qu'objet ou oeuvre d'art d'un livre ou d'un manuscrit rare. Simplement,
cela témoigne de l'optique particulière qui modèle la collection et en fixe les priorités.
- 47 -
de l'éthique de service public qui le caractérisent. Mais elles font aussi partie, à des degrés variés,
d'un autre univers, celui des industries internationales de l'audiovisuel et de leur culture. Elles
recrutent du personnel dans cet univers, parlent son langage, répondent à ses besoins. Elles reflètent
son esprit d'entreprise et sa passion pour les médias. En même temps, surtout pour les archives
audiovisuelles qui appartiennent à une organisation à but lucratif, l'impératif (par exemple) de
générer des recettes ou de satisfaire les priorités de la maison peut passer avant la poursuite
d'activités altruistes d'intérêt public.
4.5.2.2 Et son histoire. En dehors de quelques exceptions notables, l'expérience montre que les
industries audiovisuelles sont si occupées à leur production courante qu'elles ont peu le temps, ou
peu envie, de s'attarder sur l'histoire de l'entreprise et la production du passé, que ce soit d'un point
de vue culturel, historique ou même commercial. En outre, leurs intérêts ne coïncident pas toujours
ou sont incompatibles avec ceux des archives publiques. On a souvent pris conscience trop tard de
la valeur des biens en jeu pour pouvoir les préserver. Par conséquent, c'est aux archives et aux
archivistes de l'audiovisuel, quels que soient leur philosophie et leur contexte institutionnel, d'offrir
et de promouvoir une vision plus large et à plus long terme, si l'on veut préserver la mémoire
collective et conserver à la culture "populaire" (par opposition à la "grande" culture) son
accessibilité. Cela peut être source de beaucoup de difficultés et de tensions.
4.5.3 La culture professionnelle
4.5.3.1 La fragilité et le caractère éphémère des documents audiovisuels, le côté pionnier de
l'archivistique audiovisuelle, le manque fréquent de ressources et, souvent l'insécurité de l'emploi,
l'évolution rapide du paysage technologique et institutionnel, la faiblesse des effectifs face à
l'ampleur de la tâche, enfin, donnent aux archives et aux archivistes audiovisuels un sentiment
d'urgence de leur mission. Il y a "tant à faire et si peu de temps pour le faire". Ils sont confrontés en
permanence aux conséquences de leurs actes, de leurs omissions et de leurs limitations : il leur faut
convaincre, changer les attitudes, façonner leur environnement.
4.5.3.2 Les archivistes audiovisuels qui choisissent d'exercer leur métier malgré ce contexte, sont
mus par une vocation et s'investissent parfois avec passion dans un domaine encore jeune qui
s'emploie encore à obtenir, à l'instar des branches voisines de la collecte et de la conservation, un
statut, une reconnaissance officielle, la mise en place de formations, de systèmes de certification et
d'organismes de défense des intérêts de la profession. L'archivistique audiovisuelle ne mène, pour
l'instant, ni à la notoriété ni à la richesse malgré ses accointances avec un secteur qui, dans l'esprit
du public, est fortement associé à ces deux caractéristiques. Elle ne bénéficie pas non plus du cadre
juridique, établi de longue date, propre à l'édition et à la bureaucratie dans lequel évoluent les
bibliothèques et les archives nationales : elle est rattachée à une industrie aux règles commerciales
et juridiques mal définies et préoccupée par le contrôle de ses droits de propriété intellectuelle.
4.5.3.3 La polyvalence est, de ce fait, souvent un des traits dominants de l'archiviste audiovisuel.
Les compétences humaines sont primordiales dans un domaine aussi tributaire des relations
personnelles formelles ou informelles. L'archiviste audiovisuel doit également réunir les qualités
des hommes politiques et des avocats. Travailler dans le milieu du show-business exige de maîtriser
l'art de la mise en scène, de se montrer créatif et audacieux dans sa manière de penser et d'agir, de
savoir se glisser dans la peau d'un producteur de programmes ou d'un cinéaste. Quelqu'un qui n'est
pas véritablement attiré par l'audiovisuel, ne sera pas à même d'en comprendre intimement la nature
ni de s'identifier avec ceux qui consacrent leur carrière à la création, l'exploitation et la collecte
d'oeuvres audiovisuelles.
4.5.3.4 Ces qualités complètent les éléments plus traditionnels et plus théoriques de la culture des
institutions de la collecte. Une base technique générale et une connaissance de l'histoire de
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l'audiovisuel et de l'archivistique audiovisuelle constituent un bagage indispensable, quel que soit le
domaine de spécialisation. Une éthique exigeante et scrupuleuse est essentielle dans un domaine où
l'on manie constamment des informations commerciales confidentielles, où les transactions d'accès
et d'acquisition peuvent mettre en jeu des sommes considérables, où il faut sans arrêt porter un
jugement et où de nombreux déposants importants (comme les collectionneurs privés) font
davantage confiance aux individus qu'aux institutions.
4.5.4 Conservation
4.5.4.1 Nous avons déjà souligné le caractère central de la conservation dans la section précédente
(3.2.6). La tension entre conservation et consultation existe dans la plupart des institutions ayant à
gérer des collections. La consultation comporte des risques et des coûts, petits ou grands, mais la
conservation hors de cette perspective serait sans objet. On notera, toutefois, que la conservation est
considérée dans de nombreuses institutions comme un "plus" pour le fonctionnement de
l'organisation alors qu'il s'agit, d'un point de vue conceptuel, de la mission première des archives
audiovisuelles.
4.5.4.2 Les oeuvres audiovisuelles étant basées sur la technologie, les réalités de la préservation
imprègnent l'ensemble des activités du service d'archives : elles font partie intégrante du
fonctionnement quotidien. La conservation influe sur les perceptions et les décisions du service
d'archives : la consultation du matériel a toujours des conséquences plus ou moins importantes sur
le plan technologique et financier. Les modalités d'accès sont nombreuses, depuis la cassette
accessible sur une étagère jusqu'à la réalisation d'une copie neuve d'un film et à la réservation d'une
salle de cinéma durant plusieurs heures pour la projeter. Quel que soit le choix, le mode de
consultation ne doit pas faire courir à l'oeuvre un risque inacceptable55. Si le coût en est excessif, la
consultation pourra être différée tant qu'elle ne pourra être financée et qu'elle ne sera pas
suffisamment prioritaire.
4.5.4.3 En fait, en raison de leur base technologique, les archives audiovisuelles se présentent
souvent comme des centres d'expertise et de matériel technique spécialisé, où l'on doit entretenir et
sauvegarder des technologies et des procédés obsolètes afin que des matériels audiovisuels de tout
type puissent être restaurés et reproduits. Dans quelle mesure ce sera toujours le cas, on ne peut le
prévoir à long terme car les archives dépendent d'entreprises extérieures pour des fournitures
comme la pellicule et les pièces de rechange. Les archives audiovisuelles ont aussi à gérer de
nouveaux impératifs à la fois éthiques et économiques avec la diversification du numérique et de
l'analogique et la prolifération des nouveaux formats. Sans aucun doute, l'effet d'inertie lié au fait de
stocker, de conserver et de reproduire des quantités toujours croissantes de documents audiovisuels
obsolescents découragera les jugements trop tranchés dans l'avenir prévisible. D'autre part, les
compétences esthétiques, les connaissances historiques et les jugements éthiques mis en oeuvre dans
le travail de conservation sont inhérents au caractère même des documents audiovisuels, et seront
toujours nécessaires56.
4.5.4.4 Une autre caractéristique découlant de l'importance primordiale de la conservation est
l'esprit technicien des archivistes audiovisuels, autrement dit, leur capacité à penser en permanence
55 "Inacceptable" est une notion relative : certaines archives audiovisuelles fixent pour leurs mécanismes de
consultation des règles strictes qui revêtent facilement un caractère absolu. Cependant, il n'y a rien d'absolu dans
la réalité, seulement des niveaux de risque. Chaque service d'archives décide pour lui-même de la façon dont il
va gérer les risques liés à la consultation, et les critères retenus seront subordonnés à des considérations de
politique et de stratégie aussi bien que d'ordre technique et financier. Ces critères évolueront donc avec le temps.
56 Cette question suscite actuellement un débat éthique et pratique. Un clone numérique peut-il remplacer un objet
original ? Peut-il recréer l'expérience originale de la vue et de l'écoute ? Quelles sont à plus long terme les limites
du numérique ?
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en termes aussi bien techniques qu'esthétiques, à exploiter tout un ensemble d'équipements
techniques, à saisir les conséquences directes pour le matériel collecté d'un stockage inadéquat ou
d'une erreur de manipulation ou d'utilisation de ces équipements. Cela signifie que les archivistes
qui vont au cinéma, regardent la télévision ou écoutent un enregistrement sonore perçoivent
toujours les caractéristiques techniques de ce qu'ils voient ou entendent : notamment, les effets
numériques sur l'image télévisuelle, la dynamique de l'enregistrement, la qualité visuelle et l'état de
la copie du film.
4.5.5 L'approche pratique
4.5.5.1 De façon logique et justifiée, les archives audiovisuelles font appel à des méthodes et des
principes d'acquisition, de gestion des fonds, de documentation et de prestation de services qui
résultent de la nature même du document audiovisuel et de son contexte, tant physique et esthétique
que juridique. En conséquence, ces méthodes peuvent différer, en degré ou en nature, des approches
correspondantes en usage dans les professions voisines. Cela semble une évidence, mais du fait que
l'archivistique audiovisuelle est issue de ces professions, les conceptions divergentes (et parfois
incompatibles) de ces dernières ont été appliquées, par analogie automatique, dans le domaine de
l'audiovisuel.
4.5.5.2 Un exemple simple 57 en est l'habitude (heureusement abandonnée aujourd'hui) des
bibliothécaires de cataloguer les films suivant le titre trouvé sur une image de générique ou écrit sur
la boîte. Les responsables des catalogues d'archives ont dû batailler pour faire admettre que les
films devaient être classés selon ce qu'ils étaient vraiment et que la recherche avait permis de
déterminer, faisant valoir la facilité avec laquelle un film pouvait être raccordé à un mauvais
générique, ou placé dans une mauvaise boîte. On était en territoire inconnu pour des professionnels
habitués à des objets portant leur propre page de titre !
4.5.5.3 Le besoin de revenir aux principes premiers s'est quelquefois manifesté plus tard ; pour
beaucoup, il s'agit encore d'une nouveauté. Par exemple, les approches différentes de l'archivistique
générale et de la bibliothéconomie en matière d'organisation et de description des collections ont été
pareillement appliquées à l'archivage audiovisuel. Beaucoup d'archives audiovisuelles ont
développé d'autres approches qui, tout en empruntant aux deux disciplines, reposent sur des
hypothèses différentes et conduisent à des pratiques différentes. Une approche très courante
consiste, par exemple, à traiter les fonds comme des stocks ayant fait l'objet d'un catalogage, ce qui
permet de dissocier les activités de gestion et de description intellectuelle.
4.5.6. La constitution des collections
4.5.6.1 À l'instar des bibliothèques, les archives audiovisuelles acquièrent des matériels par divers
moyens et appliquent à leurs fonds des politiques et des mécanismes de sélection ou d'estimation.
Mais la constitution de ces collections d'archives présente d'autres aspects spécifiques. On peut
mentionner, entre autres, le système du dépôt volontaire (le service d'archives a la garde de l'objet
mais pas la propriété ni les droits d'auteur), l'enregistrement d'émissions au cours de leur diffusion,
la création d'enregistrements, ainsi que la détection et la recherche des matériels éphémères dont la
vie commerciale se mesure en semaines plutôt qu'en dizaines d'années. Les investigations
méthodiques ou les "chasses au trésor" dans des lieux susceptibles de receler des matériels anciens
57 Exemple tiré de notre expérience de travail en bibliothèque, où pendant un temps on a tenté de ranger les
collections de films en 16 mm selon la classification décimale Dewey. Les cassettes vidéo, les CD et les DVD
étaient bien entendu plus faciles à intégrer à ce système orienté vers l'accessibilité que d'autres supports
audiovisuels, leur forme étant proche de celle des livres.
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constituent souvent en pratique le seul moyen d'en dénicher. L'archivistique audiovisuelle suppose
des recherches actives et sélectives, elle ne peut se contenter d'accepter passivement des matériels58.
4.5.6.2 Les particuliers, notamment les collectionneurs, constituent une source importante de
documents et les archives sont en conséquence attentives aux relations qu'elles entretiennent avec
eux. Les industries audiovisuelles elles-mêmes tablent beaucoup sur le contact individuel. Savoir
établir et maintenir des relations personnelles et inspirer confiance est essentiel dans un domaine où
les sensibilités peuvent être aiguës et la confiance facilement entamée. Des questions d'éthique
relatives au droit de propriété et à l'utilisation sont fréquemment en cause, qui exigent du
discernement.
4.5.7 La gestion des fonds
4.5.7.1 De par leur nature, de nombreux supports audiovisuels sont à la fois chers et sensibles à
l'environnement. Dans la mesure où leurs ressources le permettent, les archives audiovisuelles
recourent à divers systèmes de stockage à hygrométrie et température contrôlées et utilisent des
procédures de vérification de l'état des documents au moment de leur acquisition puis à intervalles
réguliers. Les systèmes de contrôle des stocks, permettant à chaque unité de la collection d'être
identifiée séparément, et le classement des matériels par forme, catégorie et dimension, sont des
aspects propres à gestion de ce type d'archives. L'établissement d'une fiche technique détaillée par
unité est nécessaire pour suivre les conditions de conservation dans le temps et appliquer si
nécessaire un traitement approprié. Dans ce cadre, l'unité de base est le support individuel59, lié à
une "oeuvre" identifiée par un titre. Dans sa théorie et son application, cette approche est conforme à
la définition et à la nature physique du document audiovisuel.
4.5.8 L'accessibilité
4.5.8.1 Du fait de leur nature, les documents audiovisuels sont accessibles par différents moyens,
effectifs et potentiels, de type "passif" – comme la recherche et la consultation individuelles, ou de
type "actif" tels que l'exposition publique, la projection, la radio et télédiffusion, la
commercialisation d'un produit, etc. Les compétences et connaissances requises dans ce domaine
sont en conséquence très diverses : il faut, d'une part, posséder de solides compétences techniques et
une connaissance approfondie des fonds, du sujet et de l'histoire et, d'autre part, être créatif, avoir
l'esprit d'entreprise, la capacité d'organiser des expositions et d'assumer des fonctions de
conservation. Ce bagage doit enfin être consolidé par la maîtrise de la législation relative aux droits
d'auteur et du droit des contrats : la consultation d'une très large partie des fonds et collections de
tous les services d'archives est en effet limitée par les prérogatives des titulaires de droits d'auteur,
de distribution et de diffusion.
4.5.8.2 Il est paradoxal à une époque où l'on peut aisément contourner la législation sur les droits
d'auteur en enregistrant un document au moment de sa diffusion ou en le téléchargeant sur Internet,
et où le piratage a pris une ampleur internationale, que les archives qui conservent une si grande
part de ces matériels doivent scrupuleusement respecter ces droits. En pratique, l'accessibilité est
limitée par la nécessité d'obtenir constamment des autorisations pour divers types d'utilisation des
58 Ce schéma varie selon la structure et la politique de l'organisme dont il dépend. Certaines archives audiovisuelles
sélectionnent peu et requièrent moins une démarche active. C'est le cas par exemple des archives nationales, qui
reçoivent obligatoirement les versements d'autres entités publiques.
59 C'est-à-dire la plus petite unité physique - bobine de bande magnétique, de film, disque, cassette, etc. Une oeuvre
peut figurer sur plusieurs supports individuels de types différents. Un film peut ainsi se composer des éléments
suivants : un contretype image, un négatif son, un positif intermédiaire, une copie composite, etc. Chacun de ces
éléments correspond lui-même à plusieurs supports individuels. Inversement, plusieurs oeuvres peuvent tenir sur
un seul support individuel, par exemple sur les différentes pistes d'un CD.
- 51 -
documents d'archives susceptibles de léser les titulaires des droits d'auteur. Dans de nombreux cas,
en particulier pour les matériels anciens, il est difficile voire impossible d'établir avec certitude
l'identité du propriétaire de ces droits. Les archives doivent alors mesurer les risques qu'elles
prennent en mettant à disposition un film ou un enregistrement.
4.5.8.3 On peut feuilleter un livre ou une série de manuscrits. On ne peut pas feuilleter de la même
façon un enregistrement sonore, un film, un vidéogramme ou même un objet. Le contrôle
intellectuel que permettent les entrées de catalogue, parfois très détaillées, est souvent le moyen le
plus efficace pour l'usager. Le catalogage demandant beaucoup de travail et d'argent, et de
nombreuses collections étant donc mal cataloguées, l'autre source d'information essentielle réside
dans la connaissance des collections qu'ont acquise les archivistes eux-mêmes. Trouver le bon
équilibre entre les deux n'est pas facile : nombre d'institutions l'ont découvert à leurs dépens, les
gens peuvent disparaître ou s'en aller à l'improviste, emportant avec eux leur savoir. L'utilisation des
installations d'écoute et de visionnage et la recherche des documents pouvant s'avérer onéreux,
l'accès "gratuit" est souvent impossible.
4.5.8.4 Pour les archives audiovisuelles, cet accès limité est peut-être la réalité, mais certainement
pas l'objectif visé. De nouvelles technologies sont en train d'élargir rapidement les horizons : on
peut maintenant parcourir en ligne les catalogues de bases de données ainsi que des documents
audio et vidéo (sous réserve de l'affranchissement des droits d'auteur !). Ces possibilités vont créer
en retour de nouvelles demandes. Le catalogue traditionnel est en train de changer, le texte des
entrées s'enrichissant d'icônes, d'images et de sons. Il est par ailleurs possible d'effectuer une
recherche simultanée sur plusieurs catalogues. Ces systèmes de plus en plus perfectionnés vont
bouleverser la pratique à la fois du catalogage et de la consultation, en offrant aux usagers des
possibilités et un choix bien plus vaste.
4.5.9 La mise en contexte
4.5.9.1 Le contexte pour lequel des images et des sons ont été conçus constitue un élément
fondamental pour leur appréciation. Il s'agit aussi peut-être de la tâche la plus difficile qu'aient à
remplir les archives audiovisuelles.
4.5.9.2 On pourrait faire valoir que lire un ouvrage dans une édition reliée ou brochée revient
quasiment au même et que, pareillement, consulter un fichier d'archives sur version papier, support
numérique ou microforme ne change pas grand-chose à la manière dont on comprend le contenu ou
la portée d'un document. Ils conservent dans une large mesure leur intégrité et leur valeur
informative même s'ils sont consultés dans de multiples formats et dans des environnements
extrêmement variés. Le contexte joue, en revanche, un rôle bien plus significatif s'agissant des
supports audiovisuels.
4.5.9.3 Regarder un long métrage ou des actualités filmées sur l'écran d'un téléviseur dans une pièce
éclairée ou une cabine de visionnage constitue ainsi une expérience très différente de celle qui
consiste à assister à la projection en 35 mm du même film dans l'obscurité d'une salle de cinéma
datant de l'époque à laquelle l'oeuvre a été réalisée. Il a été conçu pour être vu dans ce second
contexte et non dans le premier. Ce n'est pas simplement une question de qualité de l'image et du
son, même s'il s'agit là d'éléments importants : les techniques employées et le cadre de l'expérience
comptent tout autant. C'est la raison pour laquelle les archives conservent des phonographes et des
gramophones : une copie sur CD d'un même document jouée sur un appareil de lecture moderne
pourra peut-être imiter mais pas remplacer l'expérience du visionnage et de l'écoute
d'enregistrements lus sur du matériel originel.
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4.5.9.4 La préservation et l'accessibilité des images en mouvement et des enregistrements sonores
impliquent tôt ou tard leur reproduction ou leur transfert sur d'autres supports. Ce n'est pas un acte
neutre ; la qualité et la nature de la copie dépendent de jugements techniques et d'interventions
physiques (telles que la réparation manuelle). Il y a risque de déformer, mutiler ou manipuler
l'histoire à travers les jugements opérés et le choix ainsi que la qualité du travail exécuté. Il est
essentiel, pour préserver l'intégrité d'une oeuvre, de documenter les procédés employés et les choix
faits de génération en génération pour sa reproduction : l'équivalent audiovisuel, sans doute, des
concepts archivistiques de respect du fonds et de l'ordre original. La même chose est valable pour la
restauration et la reconstitution des matériels audiovisuels : ce n'est que si les choix sont
documentés que la "nouvelle" version pourra être jugée impartialement, en contexte. Lorsque
l'auteur de l'oeuvre lui-même retravaille sa production originale 60 , il est nécessaire en outre
d'acquérir et de préserver sa propre documentation sur cette révision.
4.6 Base de soutien
4.6.1 Comme d'autres institutions de la collecte et de la conservation, chaque service d'archives
audiovisuelles possède une base de soutien : c'est-à-dire un ensemble d'"amis" et de parties
prenantes qui se soucient de la réussite de sa mission et auxquels ce dernier peut, à des degrés
divers, avoir à rendre des comptes. Cette base de soutien est diversement composée selon les
services d'archives et inclut toujours l'institution ou l'organisme de tutelle. Mais elle est, dans la
majorité des cas, plus large que cela car les archives les plus florissantes reçoivent l'aide de
bénévoles, de sponsors et de groupes de pression, et représentent souvent certaines valeurs, opinions
et idéaux partagés par la société dans son ensemble. La base de soutien peut ainsi regrouper des
utilisateurs, des donateurs, des bénévoles, des associations professionnelles, des sponsors actuels et
potentiels, des universitaires, des secteurs de l'industrie du cinéma, de la radio et télédiffusion et du
son, des organisations "amies", des institutions apparentées de la collecte et de la conservation, des
organismes culturels, parfois des hommes politiques et des leaders d'opinion. Elle peut donc être
considérée comme un sous-ensemble de la collectivité qui est servie par les archives, qui porte un
intérêt actif à sa bonne marche.
4.6.2 Les archives audiovisuelles sont – ou du moins estiment être – le parent pauvre des
institutions de la collecte et de la conservation s'agissant de l'octroi des financements ou du soutien
des pouvoirs publics. Elles doivent en conséquence se montrer particulièrement habiles et
persuasives dans la défense de leurs intérêts et ne rien tenir pour acquis, leur légitimité et
l'importance de leurs besoins n'étant pas toujours reconnues. L'art de sensibiliser et mobiliser
s'apprend comme toute autre compétence et suppose essentiellement de s'ouvrir des possibilités et
de parfaitement comprendre la position de l'autre partie. Il faut savoir donner à son interlocuteur
une raison pertinente et convaincante de vous placer au centre de ses priorités et mettre l'accent sur
les solutions possibles plutôt que sur les problèmes.
4.6.3 Ces bases de soutien peuvent être élargies en faisant de la publicité de façon à ce qu'un plus
grand nombre de personnes connaissent l'existence d'un service d'archives et la nature de sa
mission. Les archives audiovisuelles sont en relation avec les industries des médias – elles "sont
l'actualité" et toutes les possibilités de la publicité gratuite s'offrent à elles. Cela inclut les interviews
radiophoniques et télévisuelles, les éditoriaux de la presse, les articles de magazines et l'Internet.
L'art de la mise en scène fait partie de l'archivistique et les plaidoyers les plus clairs et les plus
efficaces émanent généralement des archivistes eux-mêmes – en raison de leurs connaissances, de
leur conviction et surtout de leur enthousiasme. Les techniques de la publicité s'apprennent et
60 George Lucas a ainsi rajeuni la première version de la trilogie de la Guerre des étoiles en ajoutant des séquences
et des effets.
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reposent sur les principes fondamentaux et de bon sens selon lesquels il faut communiquer de
manière simple et claire et bien connaître les avantages et les inconvénients du média utilisé.
4.6.4 "J'ai besoin de tous les amis que je peux me faire" est une célèbre réplique de la bande
dessinée Peanuts61 et les archives négligent ce truisme à leurs risques et périls. Le cercle des
soutiens peut être plus large qu'il n'y paraît à première vue et comprendre les diverses associations
internationales et leurs membres parmi lesquels peuvent figurer des personnalités faisant autorité et
disposées à être identifiées à une cause ou un besoin spécifique. De nombreux services d'archives
audiovisuelles ont vu leur destin influencé de cette façon. Des actions collectives, comme l'envoi de
lettres et de pétitions, ont également permis d'éviter la fermeture ou le déclassement d'une
institution ou la destruction d'un fonds. Un des avantages d'Internet est qu'il permet d'informer
rapidement et largement sur les besoins d'un organisme par l'envoi d'e-mails et de listes de
diffusions et que les réponses peuvent être tout aussi promptes et massives62.
4.6.5 Il est nécessaire de cultiver ses soutiens. Il ne s'agit pas seulement de conduire des études de
marché. Il faut surtout construire dans la durée des relations réciproques. Les "amis" qui se
dévouent pour la cause d'une institution méritent et ont besoin de recevoir plus que des bulletins
d'information et des communiqués de presse. Ils veulent savoir que leur contribution est appréciée
et être consultés sur d'importants problèmes à travers des mécanismes pragmatiques. Leurs idées –
et leurs critiques – doivent être recueillies, écoutées et prises au sérieux. L'expérience a montré que
les efforts investis auprès de ces "amis" sont largement récompensés. C'est le moyen le plus sûr de
se prémunir contre l'étroitesse de vue et l'arrogance qui en vient facilement à caractériser les
institutions ; et c'est sans doute primordial pour la survie d'un service d'archives.
4.7 Gouvernance et autonomie
4.7.1 Contexte pratique
4.7.1.1 Dans la plupart des pays, les structures de gouvernance des entreprises, des institutions
caritatives et d'autres organisations non-gouvernementales doivent satisfaire à des obligations
légales concernant leur responsabilité, leur transparence, leur autonomie et leur bonne gestion. Les
textes déterminant les modalités de gouvernance de ces organisations en définissent les objectifs, la
structure, les pouvoirs et l'ossature de base. Le pouvoir décisionnel et la responsabilité relèvent
généralement en dernier ressort d'un conseil ou d'un comité qui représente les parties prenantes de
l'organisation.
4.7.1.2 Les institutions publiques de la collecte et de la conservation doivent, de préférence, être
dotées d'un dispositif équivalent. Ainsi, les missions, les pouvoirs et la nature des bibliothèques, des
musées et archives nationales sont le plus souvent définis par un texte juridique – une loi ou autre –
qui fixe également les modalités de gouvernance. Les institutions concernées doivent de ce fait
rendre des comptes aux pouvoirs publics mais bénéficient, en contrepartie, d'un environnement
stable et d'une autonomie professionnelle pour mener à bien leur mission. Ces dispositifs peuvent
comprendre des clauses sur le dépôt légal, ce qui donne une responsabilité publique particulière à
l'institution et lui confère une certaine reconnaissance. À d'autres niveaux, dans le cas, par exemple,
de bibliothèques ou d'archives universitaires, il peut y avoir des dispositifs analogues relevant d'une
61 Réplique prononcée à plusieurs occasions par le héros constamment angoissé de la bande dessinée de Charles M.
Schulz, Charlie Brown, avec lequel la plupart de ses lecteurs semblent s'identifier !
62 Les groupes de pression, les particuliers, les hommes politiques se sont unis en 2003-2004, en Australie, pour
défendre la National Film and Sound Archive (ScreenSound Australia). Cette action donnerait matière à une
étude de cas intéressante.
- 54 -
autorité suprême, qui en l'espèce serait le conseil d'administration ou un autre organe de direction de
l'université.
4.7.1.3 En raison probablement de l'émergence récente de la discipline, les archives audiovisuelles
évoluent généralement dans un cadre moins défini et moins stable. Seul un petit nombre d'entre
elles bénéficie d'un niveau comparable d'autonomie ou de reconnaissance juridique à l'échelon
national. L'existence et les activités de beaucoup d'archives dépendent du bon vouloir de l'institution
ou de l'organisme auquel elles appartiennent et n'ont, en définitive, peu ou pas de garantie
d'autonomie professionnelle. La plupart des archives à but non lucratif se trouvent dans une
situation intermédiaire entre ces deux cas de figure. Quant aux archives à but lucratif, elles font
naturellement généralement partie d'organisations commerciales et sont soumises aux principes de
gouvernance de ces dernières. Cela signifie qu'elles ne jouiront parfois que d'une très faible
autonomie réelle.
4.7.2 La semi-autonomie comme minimum souhaitable
4.7.2.1 Compte tenu du fait que les archives doivent s'accommoder de dispositifs de gouvernance
qui sont loin d'être idéaux, existe-t-il des critères élémentaires à remplir ?63 Et pourquoi en est-il
ainsi ? L'expérience suggère que les points suivants constituent des exigences minimales.
4.7.2.2 Un service d'archives doit être une entité identifiable. Il doit avoir un nom explicite, des
locaux, une structure organisationnelle, du personnel, un fonds, des équipements et des installations.
Il doit disposer d'un statut, que ce soit celui d'une personne morale à part entière ou celui d'un
département ou d'un programme d'une organisation plus large. En l'absence de ces paramètres de
base, les soutiens d'un service d'archives ne peuvent se rattacher à aucun élément concret.
4.7.2.3 Un service d'archives dispose de documents de gouvernance qui ont été rendus publics et
qui définissent sa nature, son rôle et sa mission, son statut et sa responsabilité. Il s'agit là de gages
essentiels de sérieux pour les utilisateurs, les soutiens et les membres du personnel. Ces documents
sont établis par ou sous le contrôle des plus hautes autorités (parlement, conseils d'administration
d'entreprises ou d'universités, etc.).
4.7.2.4 Un service d'archives applique des politiques qui sont consignées par écrit et ont été rendues
publiques. Celles-ci portent au moins sur les activités de constitution, de conservation et de mise à
disposition des fonds. Elles sont basées sur les documents de gouvernance et sont régulièrement
remises en question et adaptées au gré de l'évolution du contexte, en consultation avec le personnel
et les parties prenantes. Ces politiques sont observées dans la pratique et constituent les critères
d'évaluation du travail accompli. Hors d'un cadre d'action ainsi défini, les archives risqueraient de
constituer et de gérer leur fonds de façon arbitraire et sans contrôle possible.
4.7.2.5 Un service d'archives a la maîtrise de la constitution et de la gestion de son propre fonds. Il
doit pouvoir exercer son jugement professionnel de façon autonome en matière de sélection,
d'acquisition, de description, de conservation et d'accessibilité sans qu'une autorité supérieure puisse
remettre en question ses décisions. Sans cette condition, ses soutiens n'ont aucune assurance que les
normes de la profession seront respectées.
4.7.2.6 Un service d'archives est représenté par les propres membres de son personnel lorsqu'il
traite avec ses parties prenantes, notamment avec les industries des médias, les autres institutions de
63 Il y a encore peu de temps, les statuts et les règlements de la FIAF posaient comme critère d'adhésion un haut
niveau d'autonomie organisationnelle. Ce critère a été quelque peu assoupli en 2000 et l'accent a été mis sur
l'adhésion formelle à un nouveau code d'éthique par chaque service d'archives membre. Les candidats à
l'adhésion doivent fournir des nombreuses informations sur leur degré d'autonomie professionnelle.
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la collecte et de la conservation, les groupements professionnels nationaux et internationaux. Il est
en contact direct avec le conseil d'administration ou le directeur de l'organisation à laquelle il
appartient et lui rend, de préférence, directement des comptes. C'est un point déterminant pour la
clarté de la communication et pour pouvoir entretenir des relations avec des pairs et des parties
prenantes.
4.7.2.7 Un service d'archives se fonde sur des principes éthiques et philosophiques consignés dans
un document qui est mis à la disposition du public. Il se conforme à des codes ou des déclarations
existantes ou fixe ses propres lignes de conduite. Les soutiens comme les membres du personnel ont
le droit de connaître les valeurs qui guident l'action du service d'archives et sur lesquelles il engage
sa responsabilité.
4.7.2.8 Les financements que le service d'archives reçoit ne lui sont pas accordés à titre
conditionnel. Ses priorités sont fixées en fonction d'appréciations internes et ne lui sont pas dictées
par des sponsors, des organismes externes ou sa maison mère. (Ce principe est, il est vrai, difficile à
respecter, les archives étant tributaires de nombreuses sources de financements, de sponsors et de
mécènes institutionnels qui imposent parfois leurs propres conditions et priorités.)
4.7.2.9 S'il n'est pas géré par son propre conseil ou comité de direction, il disposera au moins d'un
organe consultatif, ou de mécanismes consultatifs équivalents, grâce auxquels il pourra rester à
l'écoute des opinions et des besoins de la collectivité qu'il sert et maintenir la confiance de sa base
de soutien.
4.7.2.10 Le service d'archives est dirigé par un directeur ou une équipe dirigeante ayant une
expérience professionnelle dans le domaine de l'archivistique professionnelle. C'est une garantie
que les archives seront gérées dans un cadre de référence approprié.
4.7.3 Caractéristiques additionnelles
4.7.3.1 Idéalement, un service d'archives devrait présenter d'autres caractéristiques pour que son
autonomie, la continuité de sa mission et sa viabilité soient assurées.
4.7.3.2 Il est d'abord souhaitable que les services d'archives soient dotés de la personnalité
juridique. Celle-ci peut leur être conférée par un texte législatif, des statuts, une charte, un acte
constitutif ou autre. Un tel document fournit le meilleur gage de continuité, de stabilité et de
gouvernance responsable. S'il est judicieusement conçu, il peut garantir que l'organe de direction
des archives sera composé de personnes compétentes dans le domaine et représentatives de la
profession et que le fonds sera protégé par le principe de "perpétuelle succession" (si des archives
cessent d'exister en tant qu'organisation, un organisme doit assumer à sa place et dans le même
esprit la conservation de son fonds).
4.7.3.3 L'idéal pour un service d'archives est aussi de bénéficier sans condition de financements
stables, pouvant être utilisés discrétionnairement64. En pratique, il s'agit de conditions inaccessibles.
Toutefois, un service d'archives qui pourrait obtenir, selon ces modalités, la majeure partie de ses
fonds des pouvoirs publics et compléter ces ressources auprès de sponsors et d'organismes
accordant des subsides sous certaines conditions, approcherait de cet idéal.
4.7.3.4 L'idéal serait enfin de jouir d'une complète latitude pour fixer et appliquer ses politiques.
Beaucoup d'institutions ont peut-être l'impression de jouir de cette liberté mais, en réalité, hélas, s'il
64 Le président de l'AMIA, Sam Kula, a formulé cette idée de façon plus expressive "“Donnez-moi l'argent et
disparaissez !” ce qui est bien vu (les "anarchivistes" pourraient approfondir le sujet) mais passerait mal dans les
allées du pouvoir." AMIA Newsletter #61, été 2003, p 2.
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est aisé d'arrêter des lignes d'action, il est difficile de s'y tenir compte tenu des multiples contraintes
auxquelles sont soumises les archives. Les politiques énoncées ne sont ainsi pas toujours appliquées
en pratique.
5. Conservation : caractéristiques et concepts
5.1 Principes objectifs et subjectifs
5.1.1 Dans cette section, nous étudierons les caractéristiques définitoires des supports
audiovisuels qui structurent la profession et les archives audiovisuelles elles-mêmes.
5.1.2 Les documents audiovisuels se présentent sous divers supports physiques caractéristiques,
(courants ou obsolescents) – dont les formats sont profondément inscrits dans la conscience du
public. Le disque de gramophone et le film perforé sont des symboles reconnaissables, tangibles et
universels, même si les sons et les images sont aussi enregistrés sur des supports à l'identité visuelle
moins marquée tels que les bandes magnétiques et les disques durs d'ordinateurs. De même, les
technologies associées sont représentées à l'aide de symboles visuels et explicites tels que : le
pavillon de phonographe, le haut-parleur, la bobine de film, le projecteur et le faisceau du projecteur
ou l'écran figuré de biais.
5.1.3 Les images en mouvement et les sons contenus sur ces supports physiques n'ont pas
d'existence objective. Les images en mouvement sont en fait perçues comme telles en raison du
phénomène de persistance rétinienne – une succession rapide d'images fixes crée, à partir d'une
certaine cadence, une impression de continuité. De même, le son est le produit d'une série de
perturbations de l'air qui engendrent une sensation auditive que nous interprétons, par exemple,
comme un discours, du bruit ou de la musique.
5.1.4 En tant que phénomène optique et acoustique, perçu par le canal subjectif de la vue et de
l'ouïe d'un individu, le document audiovisuel partage certaines caractéristiques avec les documents
visuels statiques – tels que la photographie et la peinture – mais diffèrent intrinsèquement des
documents à base de texte, dont la transmission repose sur un code interprété par l'intellect65. La
perception des documents audiovisuels nécessite la médiation d'un appareil entre le support et
l'auditeur/spectateur : on ne peut écouter un disque ou une cassette en les observant ni regarder un
film en le tenant ou en le déroulant66.
5.1.5 Les caractéristiques physiques et chimiques des supports audiovisuels rendent bon nombre
d'entre eux, vulnérables à des conditions de température et d'humidité inappropriées, aux effets de la
pollution atmosphérique, aux moisissures ainsi qu'à divers types de dégradation et d'altération
affectant leur intégrité physique et la qualité des données son et image qu'ils contiennent. Certains
ont une durée de conservation limitée à quelques décennies ou moins tandis que, comme
l'expérience le montre, d'autres sont étonnamment robustes67. Les archives tentent de stocker leur
65 L'objectif ici n'est pas de pénétrer les arcanes de la sémiologie (l'étude des codes) et de la sémiotique (l'étude des
signes). Les oeuvres audiovisuelles ont élaboré leurs propres codes et conventions qui nous sont devenus si
familières que l'on n'en a souvent plus conscience. Par exemple, les premiers films se composaient de prises et de
plans simples, fixes et continus. L'assemblage et la juxtaposition des prises – le montage – et la mise au point de
différentes sortes de mouvements de caméra permettant de changer les angles de vue ont marqué un tournant
dans l'art cinématographique. Nous renvoyons le lecteur aux oeuvres d'Umberto Eco, de Ferdinand de Saussure et
d'autres.
66 Contrairement à d'autres supports audiovisuels, un film peut être lu – comme une séquence d'images fixes. Mais
la perception du mouvement nécessite l'utilisation d'un projecteur ou d'un appareil similaire.
67 La durée de conservation peut se limiter à quelques années, comme c'est le cas, par expérience, de certains
formats de CD ou de cassettes, mais peut aussi être infinie, comme le suggèrent les inusables 78 tours. Des
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fonds à basse température et faible hygrométrie, conditions qui permettent de limiter au minimum
les dégradations, de maximiser la durée de conservation des matériels et de gagner du temps68.
5.1.6 Les technologies d'enregistrement et de lecture sont, à de nombreux égards, encore plus
vulnérables que les supports. L'obsolescence rapide est une caractéristique du domaine audiovisuel.
Les formats changent constamment et même si les supports restent en bon état, leur durée de vie
dépasse souvent celle des technologies qui les rendent accessibles 69 . Les archives doivent
collectivement faire face au problème de la conservation des technologies obsolètes qui ont été
abandonnées par les industries audiovisuelles.
5.1.7 La survie des supports audiovisuels est plus aléatoire que celle des supports plus anciens.
L'industrie qui les crée n'est pas toujours attentive aux principes et aux aspects pratiques de la
conservation ; les matériels ne font pas nécessairement l'objet de multiples copies. D'énormes
quantités de films ont été recyclées et les supports en gomme-laque ont servi de fines pour la
construction de routes. Les supports magnétiques – les bandes audio et vidéo et les disquettes – sont
facilement réutilisables de sorte que la survie d'un programme est constamment menacée pour des
raisons pratiques et économiques.
5.1.8 Un fonds d'archives demande un suivi constant même s'il est bien rangé et entreposé dans de
bonnes conditions. En l'absence de contrôle des conditions de stockage, les phénomènes de
dégradation dus par exemple au "syndrome du vinaigre" peuvent provoquer des réactions en chaîne
et se propager aux supports voisins. Une variation importante et prolongée de la température et de
l'hygrométrie peut mettre en péril un fonds entier. Les moisissures et champignons se nourrissent
des composantes organiques des supports. Les documents audiovisuels se détériorent avec le
temps : ils requièrent des mesures actives de sauvegarde, ce qui suppose généralement tôt ou tard
l'intervention d'une institution.
5.2 Dégradation, obsolescence et migration
5.2.1 Du fait de l'inéluctable dégradation des supports et de l'irrésistible et constante évolution des
formats, les contenus son et image ne peuvent survivre et rester accessibles que grâce aux procédés
de migration, c'est-à-dire à leur copie ou leur transfert d'un support à un autre. C'est sur ces
constats que sont fondés les programmes de reproduction entrepris par les archives audiovisuelles
au cours des 70 dernières années. Ces programmes ont pour objet le transfert du contenu des films
nitrate sur des supports en triacétate ou en polyester, la copie du contenu sonore de disques ou de
cassettes endommagés sur des supports analogiques ou numériques, la migration de données de
supports obsolescents à des supports actuels bien que les premiers soient toujours fonctionnels.
5.2.2 Ce principe simple en apparence pose de multiples dilemmes. Il existe souvent un écart
considérable entre la durée de conservation d'un support et la durée de vie commerciale de la
technologie associée. En pratique, le processus de migration entraîne un certain degré de perte et de
dégradation de l'information sonore ou visuelle et une modification de la perception auditive ou
visuelle. La prise de décisions en la matière se fonde nécessairement sur des connaissances
insuffisantes : les prévisions ne se confirment pas toujours a posteriori.
matériels plus traditionnels – tels que le papier, la toile, la soie et le vélin – semblent pouvoir se conserver en bon
état pendant des siècles.
68 Il existe une abondante littérature sur le thème de la conservation, notamment sur les pratiques et les conditions
de stockage, ainsi que sur la gestion générale des fonds.
69 Les films font en partie exception à la règle. Les films 35 mm et leurs projecteurs ne sont jamais devenus
obsolètes. On ne peut toutefois pas en dire autant de nombreux formats de dimension inférieure et de leur
projecteurs ou lecteurs, difficiles à trouver en état de marche.
- 58 -
5.2.3 Les archives ont tenté de surmonter ces dilemmes de diverses manières. Elles ont d'abord
veillé à stocker et gérer leur fonds dans des conditions appropriées et ont ainsi augmenté la durée de
vie des supports et différé leur transfert. Elles ont également élaboré des solutions pour continuer à
exploiter des technologies obsolètes et préserver les compétences connexes, ce qui a permis de
prolonger l'accessibilité des supports et de rééchelonner les programmes de migration. En adoptant
des mesures conservatoires, elles ont pu accumuler des connaissances au fil de leurs expériences et
cela a entraîné un infléchissement des stratégies.
5.2.4 Le changement de la stratégie de conservation des films en nitrate de cellulose constitue une
illustration classique de ce dilemme. Le film nitrate est devenu le support standard du cinéma
professionnel dans les années 1890, malgré son inflammabilité, parce qu'il était solide, souple,
transparent et relativement peu coûteux. On ignorait quasiment tout de sa stabilité à long terme et la
question ne semblait pas se poser, même si quelques hypothèses furent émises sur sa viabilité.
Lorsqu'il devint évident que les films nitrate avaient tendance à se dégrader chimiquement, les
archives cinématographiques entreprirent de réaliser des copies de conservation sur des supports
ininflammables en triacétate, dont on pensait alors qu'ils se conserveraient pendant des siècles.
5.2.5 Dans les années 1950, les fabricants de film vierge abandonnèrent progressivement la
production de films nitrate au profit des films en triacétate pour des raisons à la fois pratiques et
économiques. Les supports en nitrate furent peu à peu perçus comme dangereux, ce qui suscita
l'inquiétude, voire la panique, des institutions et des autorités qui encouragèrent leur destruction. La
plupart des archivistes en vinrent à croire que tous les films nitrate se seraient décomposés avant
l'an 2000 et qu'il était donc urgent de mener une campagne de collecte et de reproduction du
patrimoine existant. Le contexte pratique et politique incita les archives et les compagnies
cinématographiques à détruire leurs films en nitrate après les avoir copiés sur des supports en
acétate, et à réduire ainsi leurs frais de stockage.
5.2.6 Nous savons maintenant que cette politique de destruction était une erreur. On a commencé
à s'apercevoir dans les années 1980, avec les premières manifestations du "syndrome du vinaigre",
que les films en triacétate pouvaient "s'autodétruire". Il est parallèlement devenu évident que les
films en nitrate, à condition d'être correctement stockés et gérés, se conservaient beaucoup plus
longtemps qu'on ne l'avait initialement subodoré (certaines bobines vieilles de plus d'un siècle sont
encore en bon état). Grâce à l'amélioration constante des technologies de tirage de films, on obtient
aujourd'hui des résultats plus probants qu'il y a ne serait-ce que dix ans. Les matériels en nitrate qui
ont été conservés sont souvent en meilleur état que leurs copies en triacétate pourtant réalisées il y a
à peine 20 ou 30 ans. Il faut changer la perception du public sur la viabilité des films en nitrate
(perçus comme fragiles à la suite des campagnes de sensibilisation menées de bonne foi par les
archives il y a encore peu)70.
5.2.7 Les archives audiovisuelles doivent donc en permanence gérer l'effet d'inertie. Soumises à
la pression d'impératifs pratiques et de l'opinion populaire, elles doivent constamment s'adapter aux
derniers formats en vogue. De nombreux archivistes se voient ainsi souvent demander s'ils ont
numérisé leur fonds. Par ailleurs, le transfert répété d'un grand nombre de documents d'archives
devient non seulement matériellement impossible mais n'a pas de sens sur le plan économique
comme sur celui de conservation. La tâche des archives est de plus en plus complexe dans la mesure
où elles doivent à la fois assurer la viabilité physique de leur fonds et préserver les technologies
anciennes ou obsolescentes et les compétences associées qui en permettent l'accessibilité et la
70 This Film is Dangerous, publié sous la direction de Roger Smither et Catherine A Surowiec (Bruxelles, FIAF,
2002), somme de 700 pages traitant de tous les aspects du film nitrate, constitue à ce jour la référence qui fait
autorité sur le sujet.
- 59 -
maintenance. Créer des copies de consultation dans des formats numériques, tout en conservant des
copies de sauvegarde dans des formats plus anciens rentrent dans les exigences de cette tâche.
5.2.8 L'archivistique audiovisuelle s'est toujours constamment adaptée aux évolutions du marché.
Les archives ne constituent pas un groupe suffisamment important pour véritablement peser sur les
stratégies de développement des industries audiovisuelles. Elles peuvent faire des propositions et
prendre position et leurs problèmes sont parfois pris en considération dans le perfectionnement des
supports et des systèmes ou le maintien d'une assistance technique minimale pour les technologies
anciennes. En définitive, toutefois, les archives et les archivistes, du fait de leur pouvoir
économique et politique limités, doivent s'adapter du mieux qu'ils peuvent aux changements. Ce
contexte est source de nombreuses contraintes et incertitudes en matière de planification et de
formation du personnel. L'évolution des formats est encouragée pour des motifs commerciaux et
non pour satisfaire les besoins des archives. On pourra faire valoir que des changements historiques
si rapides ne sont pas nécessaires et qu'en outre, ils ne permettent pas toujours aux meilleures
technologies de dominer le marché.
5.3 Contenu, support et contexte
5.3.1 Les documents audiovisuels, tout comme d'autres matériels, ont deux composantes : un
contenu audio et/ou visuel et un support sur lequel figure ce contenu71. Ces composantes peuvent
être étroitement liées et il est important de pouvoir accéder aux deux. Le transfert du contenu sur un
autre support à des fins de conservation ou de consultation peut être nécessaire ou pratique mais
l'opération risque d'entraîner la perte d'éléments informatifs ou contextuels essentiels.
5.3.2 La facilité grandissante avec laquelle un contenu peut être transféré et transposé a eu
tendance à faire oublier l'importance de ce lien. Les utilisateurs de fonds d'archives cherchent très
souvent à accéder aux images et aux sons de la manière qui leur convient le mieux et cet aspect
pratique l'emporte sur d'autres considérations. Par exemple, une séquence d'actualités filmées sur
pellicule 35 mm peut avoir fait l'objet de différentes copies sur support film ou vidéo avant d'être
incorporée à un documentaire télévisé. Les documents diffusés à l'antenne sont parfois passés au
mauvais rapport hauteur/largeur et à la mauvaise vitesse, utilisés dans certains cas dans un contexte
inadéquat et sont souvent loin de posséder la netteté visuelle du matériel original – mais la
production s'en satisfait. De plus, cela tend à renforcer le cliché du "vieux film" granuleux dont les
images délavées défilent trop vite – surtout lorsque des rayures et d'autres effets spéciaux ont été
ajoutés électroniquement pour lui donner davantage l'apparence d'une archive.
5.3.3 Un changement de format peut donc aussi se traduire par un changement de contenu. Une
perte de qualité de l'image ou du son équivaut, par définition, à un changement de contenu. La
manipulation du contenu lors du processus de migration peut également modifier la nature
intrinsèque de l'oeuvre – l'amélioration du son, la colorisation des images en noir et blanc l'illustrent
bien. Une image vidéo possède une texture différente de celle de l'image du film dont elle est tirée
(et réciproquement). Un film en cinémascope tourné sur une pellicule dont le rapport
largeur/hauteur est égal à 2,35 est profondément transformé s'il est reformaté à un rapport d'1,33
pour être diffusé à la télévision ou distribué en vidéo – il perd en effet la moitié de son contenu
visuel, et sa structure et sa composition visuelle s'en trouvent complètement bouleversés.
71 Se reporter aussi à la définition plus complète de document dans Mémoire du monde : Principes directeurs pour
la sauvegarde du patrimoine documentaire, (UNESCO, Paris, 1995), section 2.4 et dans sa version anglaise
révisée Memory of the World: General Guidelines to Safeguard Documentary Heritage (UNESCO, Paris, 2002),
section 2.6.
- 60 -
5.3.4 Les supports audiovisuels sont des objets et, de ce fait, leurs caractéristiques intrinsèques ne
peuvent être transférées sur un nouveau support. Celui-ci ne présentera, dans le meilleur des cas,
que des analogies avec l'original. Concernant la période antérieure aux années 1950, on peut citer
comme exemple les particularités visuelles des émulsions de films à base d'argent, chimiquement
teintées, et des procédés couleurs obsolètes tels que le Cinécolor (utilisant une double émulsion) ou
le Technicolor (reposant sur le transfert hydrotypique) dont l'effet n'est véritablement rendu que lors
de la projection de tirages originaux. Les disques de gramophone en gomme-laque ou en vinyle, et
leur conditionnement, sont des objets agréables au toucher, souvent conçus pour être regardés en
plus d'être écoutés. Des informations discographiques essentielles peuvent être physiquement
gravées sur le support. La provenance d'un film et les techniques qui ont été employées pour sa
production, son montage et son traitement peuvent être déduits de l'examen de son support.
5.3.5 On pourra faire valoir que les supports magnétiques – comme les cassettes audio et vidéo et
les disquettes – ont moins de valeur en tant qu'objets que les cylindres de phonographes, les disques
ou les films. On aura raison dans la mesure où ils ne peuvent être "lus" par l'homme, mais il ne
s'agit là que d'une différence relative. Les supports magnétiques possèdent une valeur matérielle
parce qu'ils sont représentatifs d'un format. S'ils ont été conçus comme des produits de
consommation, ils ont aussi une valeur visuelle et tactile comme leurs homologues plus anciens.
Dans le cas des téléchargements de sons et d'images sur Internet, on retrouve aussi la dichotomie
support/contenu. Le support est le disque dur ou la disquette – le contenu, ce que vous regardez et
entendez, qui est traité par un logiciel et dépend des caractéristiques de votre ordinateur. L'évolution
constante des logiciels et des matériels pourrait modifier sensiblement, voire radicalement les
contenus audiovisuels tels que nous les percevons.
5.3.6 Compte tenu des contraintes pratiques auxquelles sont soumises les archives et en
particulier du manque de spécialistes de la conservation, l'élimination des supports et des
conditionnements originaux après le transfert de leur contenu occasionne parfois la perte
d'informations essentielles concernant notamment l'origine des documents. Les dates, par exemple,
sont souvent gravées sur la pellicule originale. Des informations descriptives peuvent être inscrites
sur le boîtier original d'une cassette ou sur les étiquettes collées sur la bobine.
5.3.7 Une oeuvre audiovisuelle est réalisée dans un cadre temporel et géographique dont elle est le
produit et ne peut, à ce titre, être pleinement appréciée que dans un contexte approprié.
L'enregistrement contenu sur un cylindre d'Edison gagnera à être restitué par la technologie
originelle correspondante, en l'occurrence, par un phonographe acoustique. Idéalement, un film
parlant de long métrage des années 1930 sera projeté sur un format 35 mm dans une grande salle de
spectacle et le son sera reproduit grâce un système d'époque et non un appareil moderne. Une
émission radiophonique des années 1930 sera d'autant mieux appréciée si elle est diffusée à partir
d'un poste ancien installé sur une tablette de cheminée ou d'un coffre de radio plutôt que d'un petit
transistor (appareil qui n'existait pas à l'époque). Il est bien entendu souvent impossible ou, du
moins, peu pratique de recréer le contexte de présentation originel, entre autres parce que nous
avons une expérience de la vie qui est bien différente de celle des générations précédentes qui ont
connu les années 1900, 1920 ou 1950. La nécessité d'une mise en contexte n'en est pas moins
importante et on peut, par exemple, y pourvoir en sensibilisant et en éduquant le public.
5.3.8 La disponibilité de la technologie originale est un élément essentiel pour recréer le contexte
et, avec le temps, les archives se heurtent sur ce point à de sérieux obstacles. Lorsque les appareils
de lecture deviennent obsolètes, il est de plus en plus difficile d'en assurer la maintenance à mesure
que la fourniture des pièces de rechange est abandonnée. Pour que les équipements restent
opérationnels, les archives doivent recourir à des expédients et récupérer, par exemple, des pièces
sur des matériels inutilisés ou trouver le moyen de les fabriquer elles-mêmes. Cette stratégie permet
de gagner du temps mais présente des limites. Si les projecteurs de films et les tourne-disques
- 61 -
traditionnels font appel à une technologie relativement simple et peuvent être conservés à peu près
indéfiniment, il n'en va pas de même des technologies électroniques. Celles-ci requièrent des
infrastructures industrielles importantes et sophistiquées ; la fabrication, par exemple, des têtes de
lecture et d'enregistrement des matériels audio et vidéo et des dispositifs laser des lecteurs de CD
dépasse les moyens actuels des archives audiovisuelles.
5.3.9 Par ailleurs, les technologies obsolètes mais opérationnelles ne sont accessibles que si l'on
dispose encore des compétences nécessaires pour les faire fonctionner et en assurer la maintenance.
Lorsque ces savoir-faire ne sont plus mis en oeuvre dans l'industrie, ils deviennent ésotériques et ne
sont plus que l'apanage des passionnés et des archivistes audiovisuels. Il est en conséquence
primordial que les archives cultivent ces aptitudes en interne et tissent des réseaux d'experts dans
leur sphère d'influence. Un nombre réduit mais grandissant de prestataires de services spécialisés
maintiennent les équipements et les compétences pour réaliser des transferts de contenu et restaurer
des supports pour le compte d'archives, en particulier pour celles dont l'infrastructure est très
limitée. Par ailleurs, certaines archives importantes utilisent leurs propres installations techniques
pour offrir des services à des institutions homologues de taille plus modeste. Une telle collaboration
apparaît de plus en plus comme la seule solution à ces dilemmes.
5.3.10 Les difficultés inhérentes à la mise en contexte doivent être relativisées car la réalité est
contrastée. Les oeuvres audiovisuelles présentées dans un cadre contemporain sont souvent
évocatrices à de nouveaux égards. Comparez des films tels que Le Magicien d'Oz ou Los Olvidados
avec des pièces de Shakespeare72. Ces films et ces pièces sont aujourd'hui largement vus dans des
contextes très différents de ceux pour lesquels ils étaient destinés ou qui avaient été imaginés par
leur créateur. Ils sont aujourd'hui appréciés tels quels, hors de leur cadre contextuel, par les
spectateurs. On peut donc considérer qu'ils créent un nouveau contexte qui leur est propre et
véhiculent peut-être des sens nouveaux pour le public actuel.
5.3.11 Le contenu est littéralement modelé par le support et le contexte. Les infographistes qui
conçoivent des sites Internet exploitent les possibilités comme les limites de ce support. Les
chansons pop durent 3 à 4 minutes parce que c'était la durée d'audition d'un cylindre d'Edison ou
d'un 78 tours. De même, les actualités filmées sonores ne dépassaient pas plus de 12 minutes car
c'était la durée de projection maximale du modèle standard de bobine de film 35 mm. Dans de
nombreuses scènes comiques de longs métrages ou de films d'animation, les protagonistes
s'adressent directement aux spectateurs présents dans la salle comme le font des acteurs dans un
théâtre et il s'agit là d'une convention bien connue du public. Hors de ce cadre, elles seraient
incompréhensibles 73. De même, le contenu de certains enregistrements sonores est lié à une
caractéristique physique des disques, à savoir leur trou central 74 . On pourrait multiplier les
exemples de ce type : le lecteur pourra s'amuser à en trouver d'autres en puisant dans sa propre
expérience.
5.3.12 L'ignorance peut avoir des conséquences aussi graves qu'embarrassantes. Qu'on songe à
l'anecdote (non véridique) sur cet universitaire qui prétendait, dans un article érudit, que Serge
Eisenstein avait inséré des messages subliminaux dans Le Cuirassé Potemkine (1925). Sa thèse se
72 Le Magicien d'Oz a été réalisé en 1939 par Victor Fleming; Los Olvidados en 1950 par Luis Bunuel.
73 On peut citer ici l'exemple classique du dessin animé Farce au canard (Duck Amuck - réalisé par Chuck Jones en
1953 et produit par Warner Bros.) qui met en scène Daffy Duck. Tous les effets comiques reposent sur les
caractéristiques de la bande film, les procédés couleurs et les techniques propres au dessin animé.
74 Sergeant Pepper's Lonely Hearts Club Band (EMI, 1967), un des grands succès des Beatles, contient dans sa
version originale en vinyle un petit "butoir" sonore dans le sillon central côté étiquette. Si on laisse le bras de
l'électrophone dessus, il reproduira ce passage indéfiniment. S'amuser avec ce support et la mécanique de la
platine correspondait bien à l'esprit anticonformiste de l'enregistrement. Si on le transfère sur un CD ou une
cassette, le passage répétitif n'est plus matérialisé.
- 62 -
fonde sur un postulat erroné. Il ne s'est pas rendu compte que les messages en question étaient en
fait des images blanches contenant des consignes de teinture à l'intention du laboratoire de
traitement. Il n'aurait pas commis cette erreur s'il s'était intéressé à la provenance de la vidéo et de la
copie qu'il avait regardée ainsi qu'aux méthodes de travail des laboratoires cinématographiques dans
les années 1920. Mais il méconnaissait trop le support original pour interpréter correctement ce qu'il
voyait.
5.4 Les technologies analogiques et numériques75
5.4.1 À l'heure actuelle, le débat le plus crucial et le plus animé qui agite le domaine de
l'archivistique audiovisuelle porte sur les répercussions de la numérisation. Les technologies
analogiques audio et vidéo sont progressivement abandonnées au profit de solutions numériques.
Les cinéastes utilisent de plus en plus les technologies numériques. On peut dès lors se demander si
les bandes de film sont amenées à disparaître. S'achemine t-on, par ailleurs, vers un archivage
numérique de l'intégralité des fonds dans des systèmes de stockage de grande capacité ? Si la copie
d'un document numérique sur un autre support numérique n'engendre aucune perte, tous les
problèmes liés à la conservation sont-ils définitivement résolus ? Le numérique constitue t-il la
panacée ? Aura-t-on encore besoin d'archives audiovisuelles si toute information se réduit à un
contenu numérique accessible à volonté à partir de n'importe quel serveur informatique ? Voici
quelques-unes des questions qui se posent actuellement76.
5.4.2 Compte tenu de l'histoire de notre discipline, nous devrions considérer avec scepticisme les
prédictions sur les évolutions technologiques. Le seul guide fiable dont nous disposons est
l'expérience que nous avons accumulée. Il n'existe probablement pas de format "parfait" et on peut
induire de notre expérience passée qu'une nouvelle technologie, quelle qu'elle soit, supplantera un
jour le support numérique, même si c'est difficile à concevoir aujourd'hui. Toutefois, l'essor du
numérique, avec les perspectives qu'il ouvre et les problèmes qu'il soulève, nous invite peut-être
également à examiner certains principes philosophiques fondamentaux.
5.4.3 En toute logique et du fait, sans doute, de l'effet d'inertie, les archives vont, dans un avenir
prévisible, devoir gérer des fonds très importants regroupant des supports de tous les formats
historiques – et maintenir les technologies et les compétences associées. Il en sera ainsi même si,
demain, les industries cessent de produire des supports et se tournent entièrement vers le numérique.
Au fil du temps, les problèmes de gestion deviendront probablement plus complexes et les
programmes de migration plus importants. Toutefois, nous attacherons probablement plus
d'attention à la valeur matérielle de nos fonds et à la dimension muséologique de notre travail.
Écouter des enregistrements sonores sur des appareils originaux ou regarder des films muets avec
un fond musical approprié sont des expériences que les archives et les organismes apparentés sont
aujourd'hui quasiment les seuls à pouvoir nous procurer. Ces perspectives et ces responsabilités
vont s'élargir.
5.4.4 Le transfert analogique/numérique entraîne une perte de contenu, ce qui, en théorie – mais
cela ne se vérifie pas toujours en pratique – n'est pas le cas d'une migration numérique/numérique.
Les archives et les bibliothèques du monde entier devront conjointement relever le défi que
représente la conservation de quantités incalculables de données numériques. Le numérique, en
offrant des possibilités de conservation à long terme, soulève pour le moment autant de questions
75 Le lecteur pourra se reporter à la charte et aux principes directeurs de l'UNESCO sur la conservation du
patrimoine numérique (http://unesdoc.unesco.org/images/0013/001300/130071e.pdf).
76 Pour une analyse audacieuse, que certains ont qualifiée d'effrayante, sur la numérisation et l'avenir de la
conservation cinématographique, on pourra se reporter à l'ouvrage de Paulo Cherchi Usai intitulé The death of
cinema: history, cultural memory and the digital dark age (Londres, British Film Institute, 2001).
- 63 -
qu'il apporte de solutions. Dans un monde où les ressources numériques comme d'autres moyens
technologiques sont très inégalement réparties, ce qui sera fiable et faisable à long terme reste un
point d'interrogation. Nous serons certainement confrontés à des problèmes liés, entre autres, à
l'évolution des logiciels et des matériels, au conflit entre l'intérêt du public et l'intérêt commercial, à
la viabilité économique et à la gestion des risques.
5.4.5 Les archives audiovisuelles recourent de plus en plus aux technologies numériques pour
rendre leur fonds accessible au public, que ce soit par le biais d'Internet, de CD, VCD, DVD ou
d'autres supports numériques, puisque c'est sous cette forme qu'un nombre croissant d'utilisateurs
souhaitent le consulter. Le contenu analogique des supports magnétiques audio et vidéo
endommagés sont actuellement transférés sur des formats numériques à des fins de communication
et de conservation. Les technologies numériques sont, par ailleurs, employées pour restaurer des
contenus audio, des films et des images vidéo. Les supports analogiques plus stables comme les
films, les disques en vinyle ou en gomme-laque continuent parallèlement à être communiqués et
conservés tels quels.
Enjeux philosophiques
5.4.6 Si, pour mener leur mission de conservation, les archives adoptent définitivement les
technologies numériques et convertissent progressivement l'ensemble de leurs fonds analogiques, il
en sera fini du lien avec les supports "humainement lisibles" – la forme sous laquelle quasiment
tous les documents ont été crées depuis l'apparition de l'écriture jusqu'au XXe siècle. Les films, les
cylindres et les disques sont des supports relativement stables dont on peut contrôler l'intégrité sans
avoir recours à des technologies de restitution. Il n'en va pas de même des enregistrements audio et
vidéo conservés sur une bande magnétique ou dans un fichier informatique, qui sont "humainement
illisibles". Leur accessibilité et leur existence dépendent de la maintenance de technologies de plus
en plus complexes avec les risques que cela comporte. Ces risques sont-ils acceptables ? Combien
de temps ces technologies résisteront-elles au processus inéluctable de l'obsolescence ?
5.4.7 La numérisation rompt le lien avec le support analogique et les technologies associées. Le
contenu est dissocié de sa signification et de son contexte physique. Il n'y a plus d'élément matériel
à explorer : on ne peut plus appréhender un document par le toucher, en le manipulant ou en
l'examinant, ni faire l'expérience de sa restitution par une technologie originale. Les dimensions
sensorielles et esthétiques disparaissent.
5.4.8 De même, on ne pourra plus éduquer nos sens à distinguer un original analogique d'une
copie numérique. Comment les générations futures pourront-elles savoir ce qui les différencie – que
ce soit la texture visuelle ou les subtilités de la qualité sonore ? Dans quelle mesure est-ce important
qu'elles connaissent cette différence ?
5.4.9 Certains feront valoir que les archives audiovisuelles ont manqué de rigueur intellectuelle à
cet égard. Un musée réputé, par exemple, ne ferait pas passer une copie romaine d'une statue
grecque pour un original grec. On n'imagine pas non plus le Louvre exposer une copie numérique
de La Joconde et la considérer comme équivalente à l'original. Pourquoi, dès lors, les archives
audiovisuelles devraient-elles se contenter de projeter des copies numériques ou en acétate d'un film
nitrate teinté, sans expliquer en détail en quoi ces copies diffèrent de leur original ? On pourra
avancer que le spectateur se moque de cette différence mais peut-être ignore-t-il qu'il existe une
différence ou en quoi cette différence peut avoir son importance. Il incombe aux archives, à l'instar
des musées, de se fixer des règles déontologiques minimales et d'engager une politique volontariste
- 64 -
de sensibilisation du public. Sans cela, nous privons le chercheur des moyens d'accéder à une
information pertinente77.
5.4.10 Le plus grand défi que pose la numérisation n'est pas d'ordre technologique ou économique
mais se situe sur les plans intellectuel, éducatif et éthique. Les chercheurs et le public ont le droit
d'être éduqués et informés sur le lien entre contenu et support, et d'avoir ce qu'ils voient et entendent
convenablement mis en contexte. Pour cela, il faut que les archives et les archivistes aient euxmêmes
parfaitement compris les différences de nature et de texture existant entre les divers
supports. Leur système de valeurs doit leur dicter de mettre systématiquement en contexte les
documents présentés.
5.5 La notion d'oeuvre
5.5.1 La gestion d'un fonds doit s'appuyer sur une base conceptuelle logique pour la définition de
ses composantes. Au sens physique, les fonds audiovisuels sont constitués d'un certain nombre de
supports discrets. Dans un sens intellectuel et sur le plan du contenu, l'unité logique élémentaire est
la notion d'oeuvre.
5.5.2 La notion d'oeuvre individuelle – entité intellectuellement indépendante – est
traditionnellement le concept de base le plus couramment utilisé dans les archives audiovisuelles
pour le catalogage et le contrôle des collections. Chaque oeuvre est identifiée par un titre unique
(accompagné si nécessaire de renseignements accessoires comme la date de sortie ou de
production), qui sert de point d'ancrage pour toute l'information annexe notamment pour des
informations sur le nombre et l'état des différents supports, une analyse du contenu, des détails de la
transaction d'acquisition et informations sur les droits d'auteur, la provenance, l'existence de
documents connexes, un répertoire des inspections et des reproductions, des données concernant les
copies destinées à la consultation ou à la duplication, etc. Le volume d'informations recueilli pour
chaque oeuvre est fonction des ressources disponibles et des priorités. La notion d'oeuvre est
l'expression pratique de la capacité d'un service d'archives audiovisuelles à individualiser un
programme, un enregistrement ou un film et à organiser son information autour de cette notion.
Cette approche a démontré sa validité pour répondre aux besoins des utilisateurs et aux exigences
de la gestion concrète des collections.
5.5.3 Il y a bien sûr matière à discussion. Une oeuvre peut revêtir de multiples formes :
symphonie, chanson pop, long métrage, épisode d'une série télévisée ou radiodiffusée, actualités,
publicité télévisée ou radiophonique, récit enregistré. Mais un enregistrement vidéo sur 24 heures
provenant du système de surveillance d'un bâtiment peut-il être qualifié d'oeuvre au sens intellectuel
du terme ? La question mérite analyse. Des objets tels que des gramophones, des projecteurs et des
costumes ne sont pas des supports audiovisuels mais font partie des fonds de nombreuses archives
et sont souvent aussi des créations intellectuelles délibérées.
5.5.4 La notion d'oeuvre individuelle constitue l'unité de base des méthodes de catalogage et
d'organisation des fonds de bibliothèques ainsi que le concept clé sur lequel sont fondés le droit des
brevets et la législation sur les droits d'auteur. Une autre notion, celle de fonds, préside à la structure
des collections des archives documentaires. Un document donné (tel qu'une lettre) est ici perçu
comme étant étroitement lié à d'autres documents (en tant qu'écrit faisant partie d'une
77 "Même dans la reproduction la plus parfaite d'une oeuvre d'art, il manque un élément : son contexte temporel et
spatial, son existence unique à l'endroit où il était… Le contexte de l'original est un critère essentiel du concept
d'authenticité" Walter Benjamin, The work of art in the age of mechanical reproduction cité par Julian H.Scaff
dans Art and authenticity in the age of digital reproduction. (http://pixels.filmtv.ucla.ude/gallery/web/
julian_scaff/benjamin/benjamin1.html). Les notions d'original, de copie, de substitut et de simulacre ont été
examinées dans les publications de Walter Benjamin, Jean Baudrillard et d'autres.
- 65 -
correspondance rassemblée au sein d'un même dossier ou en tant que dossier relevant d'une série
organique) et n'est pas identifié et traité individuellement. Généralement, une oeuvre est publiable
ou a été publiée ; le fonds n'a d'ordinaire pas été publié. Les archives audiovisuelles collectent des
matériels publiés et inédits et s'inspirent des deux approches.
5.5.5 Elles cataloguent donc leur collection en utilisant des concepts et des règles empruntés à la
bibliothéconomie, qu'elles ont toutefois adaptés à leurs besoins. Elles regroupent également les
matériels dans des ensembles plus larges et les rattachent à leurs contextes (voir 5.3.7). Ces
regroupements peuvent, par exemple, correspondre aux collections d'un donateur ou d'un
producteur particulier qui sont soumises à des obligations contractuelles et des restrictions d'accès,
ou à l'oeuvre d'un réalisateur donné, ou encore à la production d'un studio, d'un réseau de diffusion
ou d'un organisme public. La gestion de ces deux concepts et l'identification des liens existant entre
des oeuvres individuelles sont maintenant simplifiées par les systèmes informatisés de contrôle des
collections.
6 Principes de gestion
6.1 Introduction
6.1.1 Comme d'autres organisations, les archives audiovisuelles accomplissent leurs missions en
s'appuyant sur des philosophies, des méthodes et des principes de gestion. Toutes les archives sont
différentes et leurs politiques ne sont pas toujours formellement énoncées. Nous tenterons, dans
cette section, de poser quelques principes clés.
6.2 Politiques
6.2.1 Les archives suivent toutes des politiques mais celles-ci ne sont pas toujours énoncées et
définies avec le même degré de précision, si toutefois elles sont exposées ! En l'absence de
politiques et de règles clairement établies, la prise de décisions risque d'être arbitraire, incohérente
et d'échapper à tout contrôle. Les politiques servent de fils conducteurs tout en posant des gardefous
et sont donc doublement utiles. À défaut de documents définissant les principes de sélection,
d'acquisition et de conservation d'un service d'archives, sa base de soutien n'a aucune garantie de
son aptitude à constituer et conserver un fonds. Par ailleurs, la formulation de politiques permet aux
archives d'évaluer leurs propres compétences, ainsi que leurs pratiques et leur rigueur
intellectuelle78.
6.2.2 Il s'ensuit que toutes les fonctions clés accomplies par un service d'archives – notamment la
constitution, la gestion, la conservation et la mise à disposition des fonds – devraient être fondées
sur une politique explicite. Ces politiques doivent profondément imprégner la culture des archives
de telle sorte qu'elles soient comprises et appliquées en pratique par l'ensemble de leur personnel et
qu'elles jouent à la fois un rôle de moteur et de garde-fou. Malheureusement, il n'en va pas toujours
ainsi : il est très facile d'établir des politiques qui ne constituent que des déclarations de bonnes
intentions, sans effets concrets, qui sont vagues et ambiguës au lieu d'être précises et explicites.
Elles servent alors parfois à valoriser l'image des archives mais ne révèlent rien des politiques
réellement mises en oeuvre. Cette dichotomie peut avoir des effets insidieux d'un point de vue
intellectuel et éthique.
78 Il existe de nombreux points de réference en la matière. Les politiques des institutions de la collecte et de la
conservation sont souvent mises en ligne sur leur site. Leur étude comparative fournit un bon moyen d'engager le
processus d'élaboration d'un telle politique. Comme indiqué dans les clauses 3.1 et 3.2 du Code de déontologie
du Conseil international des musées (ICOM) (http://icom.museum/ethics), les politiques ont une dimension
éthique (voir section 7).
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6.2.3 Les politiques définissent de manière claire et logique les positions, les points de vue et les
intentions des archives. Elles comprennent généralement les éléments suivants :
• un énoncé des missions du service d'archives ;
• la mention d'autorités extérieures compétentes ou de textes de référence (tels que ceux
établis par l'UNESCO ou les fédérations d'archives audiovisuelles) ;
• un énoncé des principes pertinents ;
• un exposé des intentions, positions et choix des archives basé sur les fondements présentés
ci-dessus ;
• des développements suffisamment détaillés pour éviter toute ambiguïté tout en étant
simples et brefs pour permettre l'établissement de directives d'application à l'intention du
personnel (directives qui doivent, à l'instar des politiques, être rendues publiques).
6.2.4 Les bonnes politiques sont adaptables. Elles découlent d'une évaluation adéquate et d'une
consultation des parties prenantes et doivent être actualisées régulièrement pour rester applicables et
pertinentes.
6.3 Constitution des fonds : sélection, acquisition, retrait et élimination
6.3.1 La constitution des fonds est une expression fourre-tout qui recouvre quatre
opérations distinctes :
• la sélection (opération intellectuelle qui consiste à choisir, au terme d'une évaluation, les
documents qu'il convient d'acquérir) ;
• l'acquisition (opération pratique qui peut consister à procéder à des choix techniques et
physiques, à des négociations et des transactions contractuelles, à l'expédition de matériels
et à l'examen et l'inventaire de supports) ;
• le retrait (décision motivée par des considérations nouvelles, notamment une modification
de la politique de sélection) ;
• l'élimination (opération fondée sur des principes éthiques qui consiste à se défaire de
supports d'un fonds).
Un service d'archives peut avoir des politiques distinctes pour ces quatre opérations ou une
politique unique consignée dans un même document.
6.3.2 S'il peut être souhaitable de tout recueillir et conserver, cela est souvent irréalisable pour des
raisons pratiques et financières. Il n'y a pas de lien entre le volume de la production et le budget des
archives ! Il faut choisir ce qui sera collecté ou non et donc porter des jugements de valeur. Parce
que ces choix de sélection et d'acquisition sont subjectifs, ils ne sont jamais faciles : il est
impossible de porter un jugement sûr sur le présent avec les yeux de l'avenir. Quoi qu'il en soit,
mieux vaut des jugements délibérés, fondés sur une politique, que des choix par défaut79.
79 Sur la sélection et l'acquisition, on se reportera utilement à l'ouvrage de référence de Sam Kula, Appraising
moving images: assessing the archival and monetary value of film and video records (Lanham, Scarecrow Press,
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6.3.3 Le principe de perte fournit un point de départ80: "s'il y a une raison de forme, de contenu
ou d'association extérieure pour que la perte d'un article particulier soit regrettée dans le futur, la
question de sa conservation doit être posée81". Il s'agit là plus d'une exhortation à la prudence pour
prévenir toute destruction inconsidérée que d'un critère clé pour effectuer des choix difficiles ; il
faut en tenir compte pour prendre des décisions de sélection fondées, éclairées et justifiables. C'est
un domaine de la conservation dans lequel on attend que les archivistes audiovisuels soient
compétents. Il peut être nécessaire de tout garder dans certains domaines et de se montrer sélectif
dans d'autres : varier les supports et les coûts en fonction du contenu, de l'importance perçue et de
l'utilisation attendue. (Pour un même coût, par exemple, va-t-on acquérir un choix de matériels de
haute qualité ou un jeu complet de qualité inférieure ?)
6.3.4 Dans les faits, les archivistes audiovisuels doivent donc porter des jugements qualitatifs
individuels. Dans ce travail d'expert, qui doit être fait en temps voulu, ils sont influencés par leur
propre connaissance artistique, technique et historique du document considéré et de leur domaine de
spécialité, par leur vision personnelle, et par des contraintes pratiques. C'est une lourde
responsabilité : si on laisse passer un bon document aujourd'hui, on ne pourra peut-être plus le
récupérer si l'on change d'avis le lendemain d'autant qu'à la différence d'un imprimé, il n'en existe
peut-être qu'un exemplaire.
6.3.5 Les politiques de sélection et d'acquisition peuvent se fonder sur de nombreux critères. L'un
des plus courants et des plus déterminants est celui de la production nationale82. Quel pan et quel
pourcentage de la production nationale conserve-t-on ? Pour apporter une réponse valable à cette
question, il faut que la production elle-même ait été systématiquement recensée. Dans certains pays
– relativement peu nombreux – les archives audiovisuelles établissent des filmographies, des
discographies, etc., nationales, à l'instar des bibliographies nationales produites par la plupart des
bibliothèques nationales. La technique informatique permet de relier les bases de données et de
rationaliser ainsi la charge que représente le catalogage dans de nombreuses institutions. Cela laisse
escompter des progrès quant à l'exhaustivement de la documentation dans l'avenir. Néanmoins, les
archivistes audiovisuels ne peuvent pas être pleinement informés de tous les secteurs de la
production nationale.
6.3.6 Il existe un concept complémentaire qui va au-delà de la notion de production nationale tout
en l'englobant. Il correspond au patrimoine audiovisuel d'un pays pris dans un sens large. Aucun
pays n'est isolé du reste du monde et l'ensemble des images en mouvement et des sons enregistrés
distribués et diffusés dans un pays a une origine de plus en plus internationale. Cela a des
répercussions sur la culture nationale et la mémoire collective et influe sur la production nationale,
et, en conséquence, on peut légitiment se poser la question de son archivage et de son accessibilité.
De nombreuses archives considèrent que leur tâche consiste à conserver et à rendre accessible une
partie donnée de ce patrimoine élargi. Ce concept international fonde depuis longtemps les
politiques de sélection et d'acquisition de grandes bibliothèques et galeries d'art du monde entier.
6.3.7 Si le service d'archives est le bénéficiaire direct ou indirect des dispositions relatives au
dépôt légal, doit-il accepter tout ce qui lui parvient ? C'est la législation qui tranche cette question.
2003). Il débute par l'assertion suivante : "Dans un service d'archives, la seule chose qui importe est la qualité du
fonds. Tout le reste est d'ordre administratif."
80 L'auteur se souvient que ce principe a été énoncé pour la première fois par Ernest Lindgren, fondateur et
conservateur des National Film Archive (Londres), sans pouvoir situer cette référence.
81 De nombreux articles peuvent être dans ce cas, mais tous n'auront pas la même priorité.
82 Se reporter à la Recommandation pour la sauvegarde et la conservation des images en mouvement de l'UNESCO
(1980), signée par la plupart des pays. La production nationale y est définie comme l'ensemble des "images en
mouvement, dont le producteur ou l'un au moins des coproducteurs a son siège ou sa résidence habituelle sur le
territoire de l'État intéressé".
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Un service d'archives doit parfois tout accepter sans distinction et satisfaire à l'obligation d'assurer
la conservation du matériel reçu. Si un droit de refus est reconnu, il devient possible d'appliquer une
politique de sélection. La loi reconnaît le droit des archives à assurer la conservation du matériel,
principe crucial83, et le service d'archives émet un jugement sur ce qui mérite d'être préservé,
mettant en jeu une responsabilité professionnelle. Si les archives ne sont que les bénéficiaires
indirects du dépôt légal – dans certains pays, par exemple, les bibliothèques ou archives nationales
sont les dépositaires officiels, alors que les archives audiovisuelles ont à la fois le matériel en dépôt
et les compétences -, la procédure devient plus compliquée.
6.3.8 Avec le temps, indépendamment des motifs qui ont présidé à l'acquisition, une autre
décision, de retrait et d'élimination, peut s'avérer nécessaire. Les raisons peuvent être nombreuses :
de meilleures copies d'une oeuvre sont disponibles et les premières de qualité inférieure peuvent être
supprimées, la mission ou la politique de sélection du service d'archives ont changé, l'expérience
conduit à réviser les critères de sélection. Quelle que soit la raison, cette décision de retrait est tout
aussi importante – et parfois plus – que celle qui avait entraîné la sélection. Elle doit être dûment
motivée et entérinée par la plus haute autorité du service d'archives. Les procédures d'élimination
doivent être conduites de manière rigoureuse et irréprochable sur le plan éthique. Des initiatives
telles que les ventes publiques de matériels peuvent être mal perçues et entamer la crédibilité du
service d'archives84.
6.3.9 Pour la plupart, les archives audiovisuelles collectent du matériel plutôt qu'elles n'en créent,
mais il n'y a aucune raison pour que ce soit toujours le cas. La création d'enregistrements par des
archives ou à l'instigation d'archives peut permettre de combler des lacunes reconnaissables. La
forme la plus courante d'enregistrement réalisé à l'instigation d'archives est l'interview historique
orale ou sur vidéo. La question de savoir dans quelle mesure un service d'archives peut être ainsi
"producteur" autant que "collecteur" offre un thème de débat intéressant. Naturellement,
l'enregistrement d'émissions pendant leur diffusion est aussi une pratique courante, mais il faut
plutôt y voir une forme d'acquisition d'un programme existant.
6.4 Conservation, accessibilité et gestion des fonds85
6.4.1 La conservation vise à assurer une accessibilité pérenne des fonds : hors de cette
perspective, elle serait sans objet, ou ne constituerait qu'une fin en soi. La conservation et
l'accessibilité, déjà soumises à des contraintes pratiques, ne doivent pas faire l'objet de limites
arbitraires. Cela serait contraire à la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948) et au
Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) des Nations Unies. Chacun a le droit
à une identité et possède, à ce titre, un droit d'accès au patrimoine documentaire et, notamment,
audiovisuel. Cela englobe le droit d'en connaître l'existence et de savoir comment y accéder. La
présente section, qui récapitule quelques points déjà abordés dans ce document, fait la synthèse de
certains principes fondamentaux devant présider à la conservation et l'accessibilité des fonds.
6.4.2 Documentation et contrôle rigoureux des fonds – "une bonne gestion courante» est un
préalable à la conservation. Il s'agit d'une tâche qui mobilise un personnel nombreux, mais qui n'est
pas nécessairement coûteuse. Elle consiste notamment à dresser manuellement ou, mieux,
83 Ce concept est consacré par la Recommandation pour la sauvegarde et la conservation des images en
mouvement de l'UNESCO.
84 La section 4 du code d'éthique de l'ICOM insiste sur ce point. Les profanes s'imaginent généralement que les
fonds sont "permanents" et les vastes opérations de retrait et d'élimination posent la question de la compétence et
de l'intégrité des méthodes de constitution du fonds des services d'archives concernés.
85 Le lecteur pourra se reporter aux principes directeurs du programme "Mémoire du Monde" de l'UNESCO
(www.unesco.org/webworld/mdm) et au code d'éthique de la FIAF (www.fiafnet.org/uk/members/ ethics.cfm)
dont cette section est en partie inspirée.
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informatiquement86, un inventaire complet des fonds, prenant en compte chaque support individuel.
Autre aspect important de cette tâche : la description et la documentation de la nature et de l'état des
supports individuels pour en rationaliser la gestion et la consultation. La documentation et le
contrôle des fonds exigent du temps et de la rigueur mais évitent des pertes et la répétition des
tâches (voir 5.3.7).
6.4.3 Les conditions de stockage – dont la température, l'hygrométrie, la lumière, la présence
éventuelle de polluants atmosphériques, d'animaux et d'insectes et la sécurité physique – doivent,
dans la mesure du possible, être telles qu'elles maximisent la durée de vie des supports stockés. Les
impératifs varient considérablement en fonction des types de matériels : par exemple, les diverses
catégories de papiers, de films, de bandes magnétiques et de disques audio requièrent idéalement
des niveaux de température et d'hygrométrie distincts. Malheureusement, la plupart des archives ne
bénéficient pas de conditions optimales. Il faut alors gagner du temps, faire au mieux avec les
moyens disponibles et s'employer à améliorer les équipements. Les infiltrations d'eau par la toiture,
les vitres cassées, l'instabilité des fondations, les systèmes de détection/extinction d'incendie, la
prévention des sinistres, le contrôle environnemental sont autant d'éléments à prendre en
considération. Il importe d'appliquer de bonnes méthodes de gestion et de contrôle même si les
conditions ne sont pas optimales.
6.4.4 Le vieux proverbe "mieux vaut prévenir que guérir" s'applique à l'évidence aux supports
individuels. Les pratiques et les techniques qui ralentissent la dégradation des matériels et limitent
les détériorations résultant de leur manipulation présentent bien plus d'avantages que n'importe
quelle opération de restauration, et sont en outre, moins onéreuses. Il s'agit en particulier d'appliquer
des consignes rigoureuses en matière de stockage, de manipulation, d'entreposage dans les
rayonnages, de sécurité et de transport.
6.4.5 La conservation du support original et la préservation de son intégrité permettent d'éviter
toute perte d'information et de ne pas hypothéquer les possibilités futures de conservation et
d'accessibilité. De nombreuses archives regrettent d'avoir prématurément détruit les originaux de
matériels après les avoir dupliqués, leurs copies s'étant révélées d'une qualité et d'une longévité
inférieures. La décision d'éliminer un original, quel que soit le nombre de reproductions qui en ont
été faites, ne doit jamais être prise à la légère.
6.4.6 Le transfert de contenu ou le reformatage est utile et souvent nécessaire à des fins
d'accessibilité. Toutefois, les procédés de migration doivent être envisagés avec circonspection
comme une stratégie de conservation. Ils sont nécessaires lorsque le support original est devenu
instable mais engendrent souvent une perte d'information, réduit le champ des possibilités futures et
pourraient avoir à long terme des répercussions imprévisibles si la technologie de reproduction
utilisée devient obsolète. La prudence est de mise à l'égard des nouvelles méthodes – telles que la
numérisation – mais aussi des techniques plus anciennes – comme la reproduction photographique.
Dans la mesure du possible, la nouvelle copie de conservation doit être une réplique exacte de
l'original : le contenu ne doit en aucune façon avoir être modifié.
6.4.7 Compromettre la conservation à long terme d'un support pour satisfaire des demandes
de consultation à court terme est toujours tentant et parfois nécessaire pour des raisons politiques,
86 Les formats informatiques normalisés, tels que MARC, recommandés par les organismes professionnels de
l'archivistique et de la bibliothéconomie, permettent l'entrée et la manipulation méthodiques des données ainsi
que leur échange avec d'autres institutions. Il existe un certain nombre de systèmes voisins, dont certains sont
spécifiquement destinés aux archives audiovisuelles. Les services d'archives peuvent également opter pour le
logiciel en libre accès de l'UNESCO, WINISIS, ou développer leurs propres systèmes à partir des logiciels
accessibles à tous. La saisie des données en plusieurs langues, quand elle est possible et opportune, facilite
l'accès et l'échange de données à l'échelon international.
- 70 -
mais c'est un risque qu'il faut, dans la mesure du possible, éviter de courir. Lorsque l'original est
fragile et qu'il n'existe aucune copie de consultation, mieux vaut en général refuser de le
communiquer que de l'exposer à d'éventuelles dégradations irréversibles.
6.4.8 Une gestion personnalisée : Les différents types de supports nécessitent des conditions de
stockage particulières mais aussi des précautions spécifiques en ce qui concerne leur manipulation,
leur gestion et leur conservation. Chaque catégorie de matériels doit faire l'objet de soins
personnalisés. L'établissement de normes internationales – relatives, par exemple, au transfert des
données numériques suit rarement le rythme des évolutions technologiques mais, lorsque des
normes reconnues existent, elles doivent être respectées.
6.4.9 Rien ne remplace la consultation sur place d'un document lorsque l'accès à son support
original et à son contenu dans un cadre approprié est souhaitable et possible d'un point de vue
pratique et financier. Mais c'est souvent impossible, du fait de considérations liées à la conservation
et pour des raisons géographiques et techniques. Certaines copies de conservation, telles que les
négatifs originaux ou les bandes maîtresses de studio – peuvent avoir des formats techniques qui ne
conviennent pas à leur visionnage ou leur audition. Les copies de consultation sont acquises ou
réalisées pour réduire la pression qui s'exerce sur la copie de conservation et pour dépasser ces
limites. On parle à ce propos de stockage en parallèle. L'idéal serait de posséder des copies de
consultation pour chaque copie de conservation mais c'est rarement réalisable – en raison de l'effet
d'inertie et de considérations purement économiques.
6.4.10 Les copies de consultation, qui sont réalisées dans une diversité croissante de formats,
constituent une alternative nécessaire. Elles doivent, par définition, être remplaçables en cas de
perte ou de dégradation, bien que leur valeur économique soit très variable : une copie récente d'un
film 35 mm coûtera beaucoup plus cher à remplacer qu'un DVD et devra, en outre, être stockée et
gérée selon des modalités particulières. En raison de l'apparition incessante de nouveaux formats, il
est de plus en plus indispensable de fournir aux utilisateurs des informations d'ordre contextuel pour
qu'ils comprennent bien en quoi la copie qu'ils regardent ou écoutent diffère de son original. À
condition de prendre les précautions de rigueur, les copies de consultation peuvent être envoyées et
utilisées n'importe où, que ce soit par un moyen physique ou électronique. À mesure que les fonds
sont numérisés et que se développe Internet, on y accédera de plus en plus via l'écran ou les hautparleurs
d'un ordinateur, avec les avantages corrélatifs de la recherche sur des bases de données et
du téléchargement instantané mais aussi les contraintes de qualité et d'environnement qu'imposent
ces technologies.
6.4.11 Une fois épuisées les possibilités de consultation offertes par l'interrogation de bases de
données, on peut toujours faire appel à l'intelligence humaine – solliciter l'aide et les conseils de
conservateurs d'archives connaissant bien leurs fonds. Les catalogues et les bases de données ne
pourront jamais se substituer totalement à ces professionnels : les connaissances approfondies et les
approches originales qu'ils ont développées sont, en effet, irremplaçables. Leur savoir peut être
communiqué à distance ou en ligne mais repose dans les deux cas sur une interaction humaine.
6.5 Documentation
6.5.1 A l'instar d'autres institutions de la collecte et de la conservation, les archives audiovisuelles
doivent satisfaire à des normes sévères en ce qui concerne la documentation de leurs acquisitions,
des communications et d'autres transactions afin de démontrer le sérieux de leur gestion. Du fait de
la complexité de leurs fonds, la précision de l'information est ici essentielle. La nature des matériels
impose en outre d'établir une documentation précise sur l'utilisation interne des collections (voir
5.3.7).
- 71 -
6.5.2 L'état et les caractéristiques techniques du support individuel doivent, une fois établis, être
convenablement consignés. Cela est particulièrement important pour les copies de conservation.
Pour être capable de surveiller dans le temps la dégradation d'un signal audio ou vidéo sur une
bande, ou la décoloration de teintes sur un rouleau de pellicule, il faut établir une documentation
précise et cohérente, faisant appel à une terminologie et à des concepts clairs. Une erreur de
documentation peut avoir de graves conséquences : passer un film mal identifié dans le mauvais
bain peut causer des dommages irréparables. De nombreuses archives ont mis au point des systèmes
efficaces de codification de l'information pour en rationaliser l'enregistrement.
6.5.3 L'entreposage et les mouvements internes de chaque support individuel, ainsi que les
mouvements de prêt le cas échéant, doivent être gérés avec précision. Les diverses institutions de la
collecte et de la conservation toléreront différents pourcentages de perte pour différents types de
matériel. Pour des archives audiovisuelles, la marge de tolérance est mince : quelle explication
acceptable présenter au propriétaire d'une bobine perdue de négatif film ou de bande souche placée
sous votre garde, quand l'exploitation commerciale du film ou de l'oeuvre est désormais compromise
? On ne peut remplacer l'irremplaçable.
6.5.4 Dans tout travail de duplication, de conservation et de restauration, la documentation des
opérations et des choix effectués est essentielle pour le maintien de l'intégrité des oeuvres à long
terme. Les conservateurs doivent parfois fonder leurs décisions sur ce qu'ont fait leurs
prédécesseurs ; ils devront éventuellement revenir sur les choix de ces derniers (lorsque c'est
possible), si une meilleure solution s'offre désormais à eux. Les principes et l'éthique de la
conservation de matériels et de photographies sont applicables au domaine de l'archivistique
audiovisuelle. Parce que les choix opérés sont toujours subjectifs et qu'un autre professionnel
n'aurait pas fait les mêmes, sauter cette étape revient à restreindre ou réduire à néant toute
possibilité de recherche ultérieure87.
6.6 Catalogage
6.6.1 Le catalogage est la description intellectuelle du contenu des oeuvres selon des règles
cohérentes et précises. Dans les archives audiovisuelles, comme d'autres institutions de la collecte et
de la conservation, le catalogue est un outil clé pour accéder au fonds, le point de départ des
recherches. Dans les bibliothèques, les opérations de catalogage et d'enregistrement des entrées sont
souvent concomitantes. En revanche, elles sont généralement dissociées dans les archives
audiovisuelles : l'enregistrement des entrées précède le catalogage, car les supports ne peuvent
facilement être donnés en consultation avant d'avoir été inventoriés. Il arrive que les archives ne
cataloguent une oeuvre que longtemps après son entrée et ce pour des questions pragmatiques de
priorité. Les activités de catalogage sont prioritairement axées sur les parties du fonds qui sont les
plus demandées.
6.6.2 Dans les archives audiovisuelles, comme dans les bibliothèques et les musées, le catalogage
est une spécialité professionnelle. Les catalogues sont établis conformément à des normes
professionnelles internationales et de préférence dressés par un personnel formé à cet effet. Ces
normes sont souvent adaptées dans les règles de catalogage relatives aux images en mouvement et
aux sons enregistrés qui ont été élaborées par la FIAF, l'IASA, l'AMIA et la FIAT et d'autres
associations pour être ajustées aux besoins des archives audiovisuelles et de leurs utilisateurs ainsi
qu'à la nature de leurs fonds. Il existe donc des différences dans les priorités, les normes, l'éventail
et le contenu des domaines d'information couverts. Les archives apportent souvent à leur tour
87 Le code d'éthique et le code de bonnes pratiques de l'Australian Institute for Conservation of Cultural Material
(AICCM) constituent deux exemples de référence sur ces sujets (www.aiccm.org.au/aiccm/publications).
- 72 -
quelques modifications à ces standards internationaux pour tenir compte de leurs besoins
particuliers ou du contexte national, notamment de la langue du pays et des contraintes culturelles.
6.6.3 Le catalogage peut être décrit comme une spécialité professionnelle transversale aux
différentes disciplines de la collecte et de la conservation. Il fait l'objet d'une abondante littérature et
des professionnels y consacrent parfois l'ensemble de leur carrière professionnelle, comme c'est le
cas pour d'autres branches de l'archivistique audiovisuelle. De ce fait, les professionnels du
catalogage – qui doivent visionner ou écouter les matériels pour en faire la description intellectuelle
– acquièrent parfois une connaissance très étendue de leur fonds.
6.6.4 L'harmonisation, au sein du domaine audiovisuel, des différentes règles de catalogage – qui
ont des origines historiques distinctes – ainsi que l'élaboration de manuels et de normes minimales
sont deux tâches auxquelles se sont collectivement attelés les professionnels du catalogage du
monde entier.
6.7 Obligations légales
6.7.1 Les archives audiovisuelles exercent leurs activités dans le cadre du droit contractuel et de
la législation des droits d'auteur. L'accessibilité et, dans une certaine mesure, la conservation, sont
régies et limitées par les droits des propriétaires de droits d'auteur. Les archives ne sont
généralement pas libres d'exposer publiquement ou d'exploiter les matériels de leur fonds sans
l'agrément des titulaires de droits d'auteur concernés.
6.7.2 Les archives sont tenues de respecter la loi ainsi que les droits des titulaires de droits
d'auteur. Lorsque la propriété de ces droits est clairement établie (c'est en principe le cas pour les
matériels de création récente), rien n'empêche formellement de se conformer à cette obligation.
Toutefois, plus les documents sont anciens, plus leur statut juridique devient incertain. À mesure
que les droits sont cédés et revendus, que les sociétés de production sont dissoutes, que les créateurs
des matériels disparaissent et que leurs biens passent aux mains d'autres personnes, il devient de
plus en plus difficile d'identifier avec certitude le titulaire des droits d'auteurs. Il arrive que personne
n'en revendique la propriété ou que ceux qui la revendiquent ne disposent d'aucune preuve
matérielle à l'appui de leurs prétentions. Les archives doivent lever ces incertitudes dans l'intérêt de
leurs parties prenantes mais leurs valeurs pourront différer de celles des auteurs de telles
revendications.
6.7.3 Les archives doivent ici se référer à leur mission, qui inclut généralement l'obligation de
servir l'intérêt public en permettant la consultation de leur fonds. Certaines archives choisissent la
prudence lorsque le statut juridique d'un document est confus. D'autres décident de prendre des
risques calculés, en rendant accessible le document considéré après avoir tenté, en vain, d'identifier
le titulaire des droits. Si leur choix est ultérieurement contesté – ce qui semble rarement se produire
-, elles peuvent faire valoir que leur choix était motivé par l'intérêt public et reverser à l'ayant droit
les revenus financiers éventuellement tirés de la communication du document.
6.7.4 Du fait de la complexification croissante du domaine, les archives ont toutes besoin d'une
assistance juridique pour les guider sur ce terrain potentiellement miné. Elles doivent également se
sentir en confiance pour effectuer des choix avisés, fondés sur leur connaissance du fonctionnement
du secteur audiovisuel et sur les contacts personnels qu'elles ont établis.
6.8 L'interdépendance des archives
6.8.1 Aussi évident que cela puisse paraître, les archives audiovisuelles sont mutuellement
dépendantes les unes des autres. Elles ont toutes besoin des services, des conseils et du soutien
- 73 -
moral que leur fournissent leurs homologues et les associations internationales. Même les
institutions les plus importantes éprouvent le besoin de tisser des réseaux et de partager leurs
équipements et leur savoir-faire. Certaines archives développent des spécialisations et peuvent ainsi
fournir au meilleur coût des prestations à d'autres institutions. Aucun organisme ne peut se
permettre de rester isolé. L'essor des archives dépend largement des échanges d'idées effectués lors
des colloques et des visites croisées.
6.8.2 Il existe également un rapport d'interdépendance entre les archives et les industries
audiovisuelles. Elles ont besoin l'une de l'autre. Cette relation entre deux domaines aux priorités et
aux conceptions du monde très différentes peut sembler déséquilibrée au désavantage des archives.
Toutefois, les archives ont un rôle à jouer en stimulant les échanges, en influant sur les priorités des
industries et en démontrant leur utilité et leur valeur.
7. Éthique
7.1 Code d'éthique
7.1.1 L'éthique d'une profession découle de ses valeurs et de ses motivations fondamentales (voir
section 2). Certains aspects sont spécifiques au domaine lui-même, d'autres reposent sur des règles
de vie et de société plus largement admises. Les professions codifient généralement leurs normes
éthiques et rédigent une déclaration écrite qui guide leurs membres et rassure leurs parties
prenantes. Les organismes professionnels ont souvent mis en place des dispositifs disciplinaires
pour faire respecter les normes à caractère obligatoire – l'ordre des médecins et celui des avocats en
sont les exemples les plus connus.
7.1.2 Au sein des professions de la collecte et de la conservation, notamment de l'archivistique
audiovisuelle, il existe des codes d'éthique aux niveaux international, national et institutionnel. Ces
codes traitent à la fois des conduites personnelles et de la déontologie des institutions et mettent
l'accent sur des thèmes communs, dont voici les principaux :
• maintien de l'intégrité et préservation du contexte des documents d'archives ;
• probité dans la mise à disposition et la constitution des fonds et d'autres opérations ;
• droit à l'accès ;
• conflits d'intérêts et profit personnel ;
• respect de la loi et prise de décisions fondée sur une politique ;
• intégrité, honnêteté, responsabilité et transparence ;
• confidentialité ;
• recherche de l'excellence et développement professionnel ;
• conduite personnelle, sens des responsabilités et relations professionnelles.
Le lecteur est invité à approfondir ces questions en se reportant aux codes des principales
associations du domaine88. Tous fournissent d'intéressants points de référence pour l'élaboration
d'un code institutionnel par un service d'archives audiovisuelles. Il n'est ni possible ni utile
d'examiner ici ces thèmes communs en termes généraux et nous mettrons donc l'accent dans cette
section sur les aspects spécifiques à l'archivistique audiovisuelle.
7.1.3 À ce jour, seule une fédération de l'archivistique audiovisuelle s'est formellement dotée d'un
code d'éthique. Il s'agit de la FIAF, qui a adopté son code en 1998, et qui impose à ses membres d'y
88 On trouvera sur les sites de l'ICOM (www.icom.org) et du CIA (www.ica.org) et de l'IFLA (www.ifla.org) des
codes internationaux ainsi que les codes d'associations nationales relevant de la muséologie, de l'archivistique et
de la bibliothéconomie.
- 74 -
souscrire (www.fiafnet.org/uk/members/ethics.cfm). D'autres fédérations ont pris position sur des
questions d'éthique individuelle.
7.2 L'éthique en pratique
7.2.1 Un code écrit, qu'il soit international ou spécifique à une institution, définit des orientations
générales. Il ne peut prévoir chaque cas de figure, ni donner de solutions toutes faites aux dilemmes
qui appellent un jugement avisé. Les professionnels acceptent généralement d'exprimer leur opinion
sur des problèmes éthiques.
7.2.2 Au niveau institutionnel, les codes ne gagnent en sens et en respect que s'ils sont au coeur de
la vie du service d'archives et sont activement promus et appliqués de manière transparente à tous
les échelons de la hiérarchie. Cela peut nécessiter d'éduquer le personnel, de mettre en place des
mécanismes de contrôle et d'inspection et des pratiques administratives qui personnalisent
l'application du code à chaque membre du personnel. Dans certaines institutions, on demande ainsi
à chaque employé de lire le code interne et d'en débattre, de s'engager par écrit à le respecter et de
signaler tout conflit d'intérêts existant ou potentiel. À défaut de mesures volontaristes, les codes
institutionnels restent purement formels et ne sont observés qu'au gré des convenances ou ne sont
utilisés que pour servir l'image des archives.
7.2.3 Il arrive un point au-delà duquel l'éthique personnelle ne peut plus être contrôlée et dépend
de la probité et de la conscience de l'individu. Il en va ainsi quelle que soit la rigueur avec laquelle
l'organisme employeur ou l'association professionnelle appliquent ses propres normes éthiques. Des
dilemmes personnels surgissent immanquablement. Dans certains cas, ils comportent des risques
pour les personnes impliquées et les isolent. Ils imposent parfois de prendre une position
impopulaire, de dénoncer certaines pratiques ou même, sur un autre plan, de compromettre sa
carrière89.
7.2.4 Qu'on le veuille ou non, en conservant et donnant accès à des témoignages du passé, on
affiche des valeurs et, partant, un point de vue. Il s'agit, en d'autres termes, d'activités
intrinsèquement politiques. Les débats de spécialistes, ainsi que les destructions délibérées du
patrimoine au cours des derniers siècles montrent amplement qu'il y aura toujours des individus qui,
pour divers motifs, chercheront à éliminer ou détruire ce qui a été conservé. Les archivistes doivent
en permanence confronter les politiques de sélection, d'accessibilité et de conservation et les
89 Il existe des exemples avérés d'archivistes qui ont mis leur vie et leur liberté en péril pour sauver des pièces
d'archives de la destruction, faisant ainsi preuve d'un dévouement professionnel absolu. À des degrés plus
modestes, nous sommes personnellement confrontés, tout comme nombre de nos confrères, à des dilemmes
éthiques moins graves. Nous en avons analysé quelques-uns dans un article intitulé You only live once: on being
a troublemaking professional (in The Moving Image, Vol 2 No 1, printemps 2002, p. 175-184). Dans certains
pays, la dénonciation – le fait d'attirer l'attention des autorités ou du public sur des pratiques répréhensibles – est
aujourd'hui protégée par des lois, mais qui ne sont pas toujours respectées dans la réalité. Whistleblowers
Australia (www.whistleblowers.org.au) est une des nombreuses organisations qui documentent ce type
d'infractions.
- 75 -
problèmes éthiques qu'elles soulèvent90. La survivance du passé est constamment à la merci du
présent91.
7.3 Éthique institutionnelle
7.3.1 Fonds
7.3.1.1 En sus des points abordés dans la section précédente et des principes énoncés dans le code
de la FIAF (dont beaucoup peuvent être généralisés à l'ensemble des archives audiovisuelles), la
gestion éthique des fonds soulève différentes questions.
7.3.1.2 La constitution de fonds d'archives est toujours sous-tendue par l'idée de permanence. En
conséquence, la décision de retrait de documents doit être mûrement pesée (voir 6.3.7) et prise par
l'organe de direction du service d'archives et non individuellement par un conservateur. Lorsqu'une
procédure d'élimination est engagée, il convient en premier lieu de prendre en compte les droits et
les besoins des institutions de la collecte susceptibles d'être intéressées par les matériels concernés.
Si, à l'issue de cette procédure, les documents retirés font l'objet d'une vente publique, il importe de
justifier publiquement ce choix pour prévenir toute perception préjudiciable des motifs ou de
l'opération elle-même. Les membres du personnel ne doivent pas tirer personnellement profit de
cette procédure ni en donner l'impression92.
7.3.1.3 Compte tenu des nombreuses possibilités de transfert existant aujourd'hui, des pressions
politiques et des contraintes pratiques qui obligent les archives à contenir leurs dépenses et la
croissance de leur fonds, la conservation des supports originaux pendant tout leur cycle de vie
– quelles que soient les copies réalisées – dépend fondamentalement de l'intégrité des
conservateurs. Les possibilités futures de recherche et de transfert ne devraient jamais être
hypothéquées par l'élimination ou la destruction prématurées des originaux.
7.3.1.4 La nature des supports numériques permet désormais la manipulation indécelable de sons et
d'images à des fins de falsification de l'histoire. De telles manoeuvres frappent l'archivistique en
plein coeur et ne sauraient être tolérées. Les archives devront sans doute prendre des mesures
préventives à cet égard, et en particulier sensibiliser leur personnel.
7.3.1.5 En raison de la nature des industries de l'audiovisuel, les collectionneurs et d'autres
particuliers jouent un rôle déterminant dans la survie des matériels audiovisuels, souvent par des
moyens non conventionnels. Dans le but fondamental d'assurer la conservation des documents de
valeur, les archives s'emploieront, avec la confidentialité qui s'impose, à réconcilier les intérêts
divergents des déposants et les titulaires légitimes de droits de propriété intellectuelle ou matérielle.
Les archives doivent exploiter ces matériels dans le strict respect de la loi.
90 On sort accablé de la lecture de la publication de l'UNESCO, Mémoire du monde : Mémoire perdue -
Bibliothèques et archives détruites au XXe siècle (1996). La jeune expérience sud-africaine en matière
d'archivistique et de politique de conservation et d'accessibilité est documentée dans l'étude de Verne Harris
intitulée The archive is politics: truths, powers, records and contestation in South Africa, et exposée à la
conférence "Political pressure and the archival record" qui a eu lieu à l'University of Liverpool, à Liverpool
(Royaume-Uni), en juillet 2003.
91 "Loin d'être des témoignages impérissables du passé, les archives apparaissent quelque peu vulnérables,
éternellement tributaires de l'appréciation de la société au sein de laquelle elles existent. Ni temporel ni absolu, le
sens qu'elles véhiculent peut être manipulé, mal interprété ou effacé […] les archives du passé sont aussi les
créations mutables du présent" Judith M Panitch, "Liberty, equality, posterity? Some archival lessons from the
case of the French Revolution", American Archivist, vol. 59, hiver 1996, p 47.
92 Une base de données d'accès public répertoriant tous les documents retirés ou susceptibles d'être éliminés ne
fournirait pas seulement un service aux institutions intéressées par l'achat de ces documents. Elle pousserait les
services d'archives à bien peser leurs décisions.
- 76 -
7.3.2 Accessibilité
7.3.2.1 Si leur mission première est d'assurer la conservation de leurs fonds, les archives publiques
reconnaissent pour autant au public le droit d'y accéder (voir 3.2.6). Avec les moyens dont elles
disposent, elles satisferont les demandes de recherche et prendront l'initiative de présenter leur
fonds au public, avec une mise en contexte, conformément aux politiques d'accessibilité fixées.
Elles sont tenues, dans tous les cas, de respecter pleinement les prérogatives des titulaires légitimes
des droits d'auteur et d'autres intérêts commerciaux.
7.3.2.2 Afin d'éduquer le public et lui permettre d'accéder à leur fonds, les archives doivent non
seulement restaurer des matériels – c'est-à-dire remédier aux dégradations et aux effets du temps
mais aussi reconstituer des films, des programmes et des enregistrements qui ne subsistent plus que
dans des versions incomplètes afin de les rendre plus facilement compréhensibles. Cette deuxième
opération consiste à rassembler des éléments incomplets ou fragmentaires provenant de sources
multiples et à les combiner en un tout cohérent, ce qui implique parfois des manipulations très
importantes des sons et des images pour combler les lacunes du matériel source subsistant. Les
matériels ainsi reconstitués sont, en fait, de nouvelles productions destinées au public contemporain
et diffèrent parfois considérablement de l'oeuvre originale.
7.3.2.3 Les opérations de reconstitution doivent être exécutées avec probité par le personnel des
services de conservation conformément aux objectifs, principes et méthodes qui ont été rendus
publics, afin que les profanes en comprennent les grandes lignes. Un rapport de reconstitution doit
être rédigé pour garantir que cette information est documentée de manière exhaustive (voir
annexe 3). La reconstitution ne doit pas compromettre la conservation des éléments sources. Ceuxci
continueront à être gardés et resteront potentiellement accessibles sous leur forme originale.
7.3.2.4 Les archives mettront à disposition leur fonds en attirant, dans la mesure du possible,
l'attention sur les informations contextuelles, en aidant le public à appréhender le support original et
le contexte et en l'engageant à utiliser avec intégrité les copies fournies. Les archives ne se rendront
pas complices d'altérations délibérées ni ne donneront sciemment une représentation erronée des
matériels, que ce soit par la manipulation des contenus sonores et visuels ou par d'autres moyens.
7.3.2.5 Lorsqu'elles concevront et proposeront au public des cadres de présentation, les archives
s'attacheront à créer un contexte avec intégrité. Elles résisteront aux pressions commerciales ou
autres qui visent à subordonner les critères, styles et cadres de présentation à des modes ou des
impératifs de circonstance, et resteront fidèles à l'esprit et à la signification originale de l'oeuvre
présentée (voir section 5.3)93.
7.3.3. Ambiance de travail
7.3.3.1 La culture d'un service d'archives ainsi que l'ambiance qui y règne ont des conséquences sur
la compétence avec laquelle sont remplies toutes ses fonctions. Les archives devraient s'efforcer de
développer une culture interne et un esprit de groupe de manière à valoriser l'érudition personnelle,
la rigueur et la curiosité intellectuelle et la capacité à assumer la responsabilité de décisions de
conservation. Elles doivent encourager le perfectionnement professionnel du personnel et cultiver la
mémoire et l'histoire de leur institution.
93 Cela concerne surtout les salles de cinéma d'archives et les espaces de projection apparentés, et soulève des
questions s'agissant notamment du rapport hauteur/largeur correct, des normes et des compétences en matière de
projection mais aussi de l'utilisation de la publicité à l'écran et de musique d'ambiance. Ce sont des sujets sur
lesquels les fédérations et les services d'archives peuvent utilement formuler des recommandations. Ainsi, bien
que la publicité cinématographique contemporaine soit une source de revenus (ce dont les archives ont grand
besoin), elle est hors sujet : c'est un peu comme si on apposait un logo commercial sur la Vénus de Milo.
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7.3.3.2 Les opérations des archives doivent être caractérisées par la précision, l'honnêteté, la
consultation, la cohérence et la transparence. Elles ne contribueront pas sciemment à la diffusion
d'informations inexactes, fausses ou trompeuses, et n'esquiveront pas les questions légitimes. Elles
motiveront par écrit et de manière convaincante leurs décisions et leurs positions.
7.3.4 Relations professionnelles
7.3.4.1 Les archives partageront librement leurs connaissances et leur expérience pour promouvoir
la profession et aider chacun à progresser dans un esprit de collaboration. Elles reconnaissent qu'en
se prêtant mutuellement concours, elles font progresser l'ensemble de la profession. On facilitera,
dans la mesure du possible, la communication d'informations, le prêt de pièces d'archives, la
participation à des projets communs, l'échange de personnels et la visite d'autres services.
7.3.4.2 Lorsque les archives y sont autorisées, elles négocieront des accords de sponsorisation
instaurant un partenariat équitable, et bénéfique aux deux parties. Les accords seront rédigés par
écrit, de durée limitée, compatibles avec la nature des archives, leur code d'éthique et leurs objectifs
et procureront un avantage net au service d'archives.
7.4 Éthique personnelle
7.4.1 Motivation
7.4.1.1 L'archivistique audiovisuelle n'est pas un domaine lucratif. En outre, comparée aux
professions voisines, elle est trop peu développée pour offrir sécurité de l'emploi et possibilités
attractives de promotion et d'évolution de carrière. La motivation des archivistes audiovisuels tient
en général à d'autres éléments : une attirance pour les supports audiovisuels, une passion pour leur
préservation, leur mise en valeur et leur popularisation et la satisfaction de participer au défrichage
d'un domaine neuf. Il faut également qu'ils aient le désir de servir la créativité, les projets et les
programmes d'autrui.
7.4.2 Conflits d'intérêts
7.4.2.1 Cette attirance pour le domaine audiovisuel peut potentiellement entraîner des conflits
d'intérêts. Ceux-ci sont susceptibles de surgir dans différents cas de figure, notamment lorsqu'un
archiviste a des intérêts financiers dans des sociétés fournissant des biens et des services aux
archives qui l'emploient ou fait commerce de matériels de collection, appartient à un groupement
poursuivant des objectifs opposés à ceux des archives ou se constitue une collection personnelle
selon des voies qui sont ou paraissent inconciliables avec les activités de collecte du service
employeur. Ces conflits d'intérêts peuvent être très mal perçus et nuire gravement à la réputation
des archives. Si on ne trouve pas un moyen acceptable de concilier ces intérêts, l'archiviste concerné
devra sans doute mettre un terme à l'activité ou à la relation en cause. C'est la renommée des
archives qui prime.
7.4.2.2 D'autres conflits peuvent naître de la délivrance à titre personnel de conseils ou
d'estimations qui pourraient néanmoins être perçus comme officiels. Si une personne est étroitement
identifiée à une institution, il lui devient difficile d'écrire, d'enseigner ou de s'exprimer
publiquement en son nom propre – il ne sera inévitablement pas perçus comme tel. Ces conflits
doivent être gérés pour ce qu'ils sont et dans le souci d'éviter toute perception préjudiciable. Là
aussi, ce sont les intérêts des archives qu'il faut privilégier.
7.4.2.3 Les relations de confiance qu'ils établissent entre autres avec les déposants et les
collectionneurs sont pour les archivistes audiovisuels l'une des meilleures récompenses, et l'une de
leur principales obligations. Sachant la porte ouverte aux abus, et la tendance de certains à se fier à
- 78 -
la personne plutôt qu'à l'institution, ces relations doivent être marquées au sceau d'une honnêteté
absolue, de la loyauté envers l'institution et le refus de tout profit personnel. De véritables dilemmes
peuvent surgir lorsque, par exemple, des présents sont offerts à un archiviste avec les meilleures
intentions, et qu'il faut éviter de blesser ou d'offenser l'offrant. Dans de tels cas, l'archiviste
concerné doit examiner le problème avec l'un de ses supérieurs.
7.4.3 Conduite personnelle
7.4.3.1 L'exécution consciencieuse d'une tâche conformément aux normes professionnelles est en
définitive une question de droiture et de probité personnelle. De nombreuses activités, comme la
manipulation soigneuse des matériels d'archives pour éviter toute détérioration, dépendent de ces
qualités : les erreurs et les dégradations, si elles ne sont pas rapidement signalées, peuvent n'être
découvertes qu'après de nombreuses années.
7.4.3.2 Dans l'exercice quotidien de leurs fonctions, les archivistes traitent une quantité
considérable d'informations confidentielles. Il peut s'agir, par exemple, du contenu d'une collection
privée qui, à la demande de son propriétaire, ne peut être divulgué ou de secrets dévoilés dans des
enregistrements de récits oraux dont l'accès au public est restreint. Une telle confidentialité doit être
respectée sans exception aucune.
7.4.3.3 Un archiviste ne saurait s'approprier les documents ou les ressources générales d'un service
d'archives à des fins d'utilisation ou de profit personnels, même s'il peut facilement le faire en tant
que membre du personnel. Ce point est important non seulement parce qu'il y a infraction mais
aussi à cause du message envoyé : rien ne peut justifier que le personnel puisse utiliser des biens
publics de manière privilégiée.
7.4.3.4 Les archivistes audiovisuels reconnaissent et assument une responsabilité morale à l'égard
des populations indigènes, ils veillent à ce que les documents concernés soient gérés, et leur
accessibilité assurée selon des modalités compatibles avec les normes culturelles de ces
populations. La seule personne capable de juger si ces prescriptions sont respectées est souvent
l'archiviste lui-même : c'est son intégrité personnelle qui est en jeu.
7.4.3.5 En tant que gardiens du patrimoine audiovisuel, les archivistes respectent l'intégrité des
oeuvres placées sous leur garde. Ils ne les mutilent pas, ne les censurent pas, n'en donnent pas une
représentation erronée, n'en interdisent pas indûment l'accès, ni ne cherchent en aucune autre
manière à falsifier l'histoire ou à en limiter l'accès94. Ils s'opposent aux actions que d'autres font en
ce sens. Ils s'efforcent de concilier leurs goûts personnels, leurs valeurs et leurs jugements critiques
avec la nécessité de protéger et de développer de façon responsable une collection conformément à
la politique qui a été fixée 95.
94 Ces questions sont fondamentales et complexes. D'un côté, le droit légitime des titulaires de droits d'auteur et des
communautés (populations autochtones par exemple) à exercer un contrôle sur l'accès aux oeuvres et leur
utilisation doit être respecté ; de l'autre, la censure et le contrôle des accès peuvent prendre de nombreuses
formes insidieuses (au service d'orientations politiques, d'intérêts économiques, etc.). Pour une analyse de ces
questions, voir l'article de Roger Smither Dealing with the unacceptable, FIAF Bulletin #45, octobre 1992.
95 Tout fonds d'archives de quelque importance contient probablement de quoi offenser tout le monde ! Il est
presque certain que les archivistes audiovisuels ne partagent pas les valeurs, les règles morales et les points de
vue inhérents à certains au moins des articles de leur collection. Mais le racisme, le sexisme, le paternalisme,
l'immoralité, la violence, les stéréotypes, etc., font partie de l'histoire de l'humanité et s'expriment dans ce que
produit la société, y compris les productions audiovisuelles. La question est : en permettant l'accès à ces
productions, est-ce que je cautionne - ou est-ce que je donne l'impression de cautionner - les valeurs qu'elles
véhiculent ? Ou est-ce que je cautionne le droit d'y accéder aussi ? (Voir aussi la note précédente.)
- 79 -
7.4.4 Dilemmes et désobéissance 96
7.4.4.1 Il n'y a pas de raison d'accepter les doctrines élaborées au profit des puissants et des
privilégiés ou de penser que des règles sociales mystérieuses et inconnues nous entravent. Il ne
s'agit que de décisions prises au sein d'institutions qui sont soumises à la volonté humaine et qui
doivent faire la preuve de leur légitimité. Si elles n'y parviennent pas, elles pourront être remplacées
par d'autres institutions plus libres et plus justes, comme c'est arrivé par le passé (Noam Chomsky).
7.4.4.2 Un archiviste sentira parfois une contradiction entre ce qu'il a été chargé de faire et ce qu'il
juge responsable et éthique. Les scénarios ne manquent pas : censure politique ("détruisez ça, cela
n'est jamais arrivé !"), pression économique ("nous ne pouvons pas nous permettre de garder tout ce
fatras, il faut s'en débarrasser"), choix stratégiques, directives arbitraires et sans fondement, accès
difficile ou interdit au matériel "politiquement incorrect" ou "inopportun"… Un archiviste peut
aussi considérer qu'une pratique est à ce point répréhensible ou préjudiciable pour l'institution qu'il
envisage de la dénoncer.
7.4.4.3 De telles décisions posent des dilemmes qui sont parmi les plus difficiles à résoudre pour un
archiviste. On pourra juger que la meilleure solution consiste à mettre en balance les deux principes
en concurrence et d'appliquer le plus essentiel (la sauvegarde de documents menacés peut, par
exemple, représenter le principe le plus important dans une situation donnée). La situation peut
toutefois être complexe, les solutions alternatives difficiles à dégager et la désobéissance ou la
dénonciation peuvent avoir, sur le plan personnel, des conséquences sérieuses qui doivent être
soigneusement pesées. Il faut, en outre, garder à l'esprit qu'aucun de nous n'est impartial.
7.4.4.4 Il n'y a pas de réponse facile, mais une démarche de bon sens à suivre. Analyser la situation
pour identifier les droits, motivations et présomptions de toutes les parties intéressées peut aider à
clarifier ses propres motivations et priorités. La voie la plus simple mais souvent aussi la pire,
comme l'histoire l'a montré, est d'obéir aveuglement et suivre le mouvement. Quelle est la véritable
priorité ? Quels sont les intérêts personnels en jeu (en prenant en compte les siens) ? Suis-je en train
de tromper ou de couvrir quelqu'un ? Est-ce que je connais, sans vouloir l'admettre, la bonne
réponse ?
7.4.4.5 Une fois analysé la situation, on peut soupeser les différents arguments en connaissance de
cause. Mais il est parfois difficile de discerner ce que la morale réprouve de ce qu'elle tolère et il
arrive qu'il n'y ait aucune issue satisfaisante : reste alors à faire un choix cornélien en se fondant sur
les informations disponibles.
7.4.4.6 Confronter ses conclusions avec des amis ou des confrères estimés peut aider à clarifier le
problème. Ces derniers auront une vision plus objective et plus claire de la situation et
l'envisageront peut-être sous des angles nouveaux. Il se dessinera alors parfois une solution
avantageuse pour tous.
7.4.4.7 Enfin, à l'issue de cette démarche personnelle, il faut écouter sa conscience. Il est difficile de
se fier à sa raison ou son instinct lorsque la situation ne nous conforte pas dans cette voie, il est plus
facile de s'accommoder de doutes persistants. Même à ce stade, il ne peut y avoir de certitude : deux
archivistes en butte au même dilemme, considérant les mêmes problèmes avec la même rigueur,
peuvent légitimement et en toute sincérité arriver à des conclusions divergentes. Nous sommes tous
des êtres subjectifs, à la recherche de ce qui est bien pour nous. Nous pouvons seulement nous poser
96 Pour rédiger cette section, nous nous sommes inspirés de l'article de Verne Harris, “Knowing right from wrong:
the archivist and the protection of people's rights”, Janus, N°1999.1, p 32-38.
- 80 -
les questions suivantes : en tant professionnel quel choix pourrais-je assumer ? Quelle issue me
paraît en revanche inacceptable ?
7.5 Pouvoir
7.5.1 Les archivistes sont enclins à considérer qu'ils sont dépourvus de pouvoir, à la merci des
autorités publiques et des bureaucraties ou d'énormes industries dont les décisions stratégiques,
prises dans une perspective plus large sans guère se soucier de leurs répercussions sur
l'archivistique, vont constamment remodeler leurs tâches et accroître leurs défis. Pourtant, les
archivistes audiovisuels comme les autres professionnels de la collecte et de la conservation ont un
pouvoir considérable et de lourdes responsabilités à l'égard de la société.
7.5.2 Ils sont les gardiens, les "archontes" de la mémoire du monde97. Ils déterminent les lieux, les
institutions et les structures dans lesquelles elle sera conservée. Ils font des choix cruciaux sur ce
qui doit être ou non préservé. Ils décident de la période pendant laquelle elle sera entretenue et de la
forme sous laquelle elle survivra. Ils en sont "les conservateurs" qui veillent à son bien-être et à sa
perpétuation.
7.5.3 Ce sont également eux qui décident de l'accessibilité de la mémoire, établissent ses
modalités d'organisation et de conservation, définissent la forme et les caractéristiques du catalogue
ou d'autres registres qui en permettront l'accès ainsi que les priorités assignées à cette tâche et qui
choisissent ce qui doit être mis en valeur ou éliminé et la manière de la présenter.
7.5.4 La mémoire réside dans les choses mais aussi dans les êtres…. les créateurs, les
distributeurs, les techniciens, les entrepreneurs puis les administrateurs, les chercheurs, les
historiens et les archivistes eux-mêmes. Ils déterminent quels récits oraux seront enregistrés, quelles
relations seront maintenues, quelles informations sont importantes.
7.5.5 Tout le monde n'acceptera pas sans réagir la manière dont les archivistes et les autres
professionnels de la collecte et de la conservation exercent leurs prérogatives. Les Nazis brûlèrent
publiquement les plus grands livres du monde et aucun pouvoir ne les arrêta. Les talibans avaient
entrepris de détruire la mémoire culturelle d'une nation. En prenant des risques considérables, les
"archontes" ont usé de subterfuges pour contrecarrer leur projet et c'est leur pouvoir qui a prévalu.
7.5.6 Dans toutes les archives, des rapports de force s'exercent aussi bien en interne qu'à
l'extérieur et pas toujours de manière éthique. Le défi, pour les archivistes audiovisuels, est de
prendre la mesure de leur pouvoir et d'en user avec probité dans l'intérêt de la société, de leurs
confrères et pour préserver la mémoire du monde.
8. Conclusion
8.1 Un peu plus d'un siècle après l'apparition de l'enregistrement sonore et du film
cinématographique, et moins de 100 ans avant celle de la radiodiffusion, ces technologies jouent un
rôle dominant dans la communication, l'art et l'enregistrement de l'histoire. Les spectaculaires
97 "Les archives ne consistent pas seulement dans la remémoration, la mémoire vivante, l'anamnèse mais aussi dans
la consignation, l'inscription d'une trace menant à un endroit extérieur – il n'y pas d'archives sans un lieu, c'est-àdire
sans espace extérieur. Les archives ne sont pas une mémoire vivante mais un lieu – c'est pour cela que le
pouvoir politique des “archontes” est si essentiel à la définition des archives. C'est ainsi que l'extériorité du lieu
est nécessaire pour avoir quelque chose à archiver." DERRIDA Jacques, "Archive fever in South Africa" in
HAMILTON Carolyn et al, Refiguring the archive (David Philip, Cape Town, 2002). Le mot archives vient du
grec archeion (la charge du magistrat ou de l'archonte). Le contrôle de l'archonte sur les archives légitime son
pouvoir.
- 81 -
changements intervenus au XXe siècle – guerres, transformations politiques, conquête de l'espace et
mondialisation – n'ont pas seulement été enregistrés, diffusés et influencés par ces technologies : ils
n'auraient pas pu se produire sans elles. Le concept de mémoire collective, d'ordre manuel à
l'origine, a pris une dimension technologique. Les médias audiovisuels s'immiscent partout :
"chaque instant introduit l'ailleurs et le planétaire au sein des foyers […] cette intrusion permanente
[…] de l'autre, de l'étranger, de ce qui est loin, de l'autre langue."98
8.2 La seconde édition du présent document est beaucoup plus longue que la première, les
dernières années ayant été riches en changements et en enseignements. Le processus se poursuit car
l'entreprise est sans fin. Il reste tant à découvrir et à partager. Peut-être que lorsqu'une autre version,
quelle qu'elle soit, se substituera à la présente édition, le domaine de l'archivistique audiovisuelle
sera parvenu à réduire l'injustice qu'il subit actuellement en matière de financement et que la tâche
qui lui incombe sera plus également partagée et assumée au niveau mondial.
8.3 On aurait pu s'attendre à ce que la tâche de préserver la mémoire audiovisuelle du monde
jouisse d'une visibilité et de moyens à la hauteur de l'importance de son rôle dans l'histoire de
l'humanité. Rien n'est plus loin de la réalité. On compte moins de 10000 personnes engagées dans
cette mission au niveau mondial et il s'agit peut-être même d'une surestimation. Cette petite
communauté formée de professionnels, motivés et déterminés quoique exerçant un métier méconnu
et mésestimé, a une responsabilité immense. En tant que profession, bien qu'ils n'y réfléchissent
peut-être guère, les archivistes audiovisuels du monde détiennent un pouvoir considérable. La façon
dont ils l'exercent aujourd'hui déterminera une grande partie ce que la postérité connaîtra de notre
époque.
"Ne doutez jamais qu'un petit groupe d'individus réfléchis et déterminés peut changer le monde.
C'est même la seule force qui y soit jamais parvenue."99
98 DERRIDA Jacques, STIEGLER Bernard, Échographies de la télévision, Galilée, Paris, 1996.
99 Margaret Mead, anthropologiste (1901-1978).
- 83 -
ANNEXE 1
Glossaire et index
accessibilité 3.2.6.6, 7.3.2
acquisition 6.3
AMIA Association of Moving Image Archivists
analogique 5.4
archives, archivisitique 3.2.1
audiovisuel 3.2.3.2, 3.3.1.9
- archives 3.3.3
- archiviste 3.3.4
- archivistique 3.2.1.4
- document 3.3.1.4
- medium 3.2.2.2
- modèle 4.4.6
- patrimoine 3.3.2
AVAPIN Audiovisual Archiving Philosophy Interest Network
voir Préface
- catalogage 6.6
- diffusion 3.2.3.7
- support 3.2.2.2, 4.5.7.1 note 19, 5.3
bande magnétique 3.2.2.4
bibliothèque 3.2.1.5
CCAAA Coordinating Council of Audiovisual Archive Associations
CIA Conseil international des archives
collection 3.2.4.4, 7.3.1
composant 3.2.2.7
conflit d'intérêts 7.4.2
conservation 3.2.6.3
constitution 6.3
contenu 3.3.1.6, 5.3
copie 5.2
disque 3.2.2.5
désobéissance 7.4
document 3.2.3.3
documentation 6.5
effet d'inertie 5.2.7
élément 3.2.2.7
élimination 6.3.8
fédérations 1.2.2, 2.6
FIAF Fédération internationale des archives du film
FIAT Fédération internationale des archives de télévision
- 84 -
film 3.2.2.3, 3.2.2.5
fonds 3.2.4.4
format 3.2.2.2
ICOM Conseil international des musées
IFLA Fédération internationale des associations de bibliothécaires
et des bibliothèques
medium 3.3.1.7
migration 5.2.1, 6.4.6
musée 3.2.1.5
numérisation 1.4.2, 5.4
objet 1.4.4, 5.3.4
obsolescence 1.4.3
oeuvre 5.5
parallélisme 6.4.9
peanuts 4.6.4
persistance rétinienne 5.1.3
philosophie 1.1, 1.5
politiques 6.2
pouvoir 7.5
principe de perte 6.3.3
production nationale 6.3.5
profession 2.4
professions de la collecte 2.2
reconstitution 7.3.2.2, Annexe 3
record 3.2.3.4
restauration 7.3.2.2
retrait 6.3.8
SEAPAVAA South East Asia-Pacific AudioVisual Archive Association
sélection 6.3
son 3.2.3.6
technologie 5.3.8
valeurs 2.3
vidéo 3.2.3.8
- 85 -
ANNEXE 2
Tableau comparatif : archives audiovisuelles, archives générales,
bibliothèques et musées
Le tableau ci-dessous établit, sous une forme très simplifiée, quelques comparaisons entre les quatre
types d'institutions. Dans la pratique, bien entendu, une institution donnée peut présenter des
caractéristiques liées à un autre type d'institution ou à plusieurs, ou même n'entrer dans aucune
catégorie. Le but recherché est d'illustrer à grands traits le type d'institution lié à chaque profession.
Archives
audiosisuelles
Archives
générales
Bibliothèques Musées
Qu'y a-t-il
dans les
fonds ?
Supports visuels et
sonores, documents et
objets associés
Sélection de
documents
anciens de toute
forme, habituellement
uniques
et inédits
Matériels publiés
de tout type
Objets et oeuvres
d'art, documents
associés
Comment les
fonds sont-ils
organisés ?
Système imposé
compatible avec la
forme, l'état et le
statut du matériel
Selon l'ordre
instauré et utilisé
par les
fondateurs
Système de
classification
imposé (par ex.
Dewey, Bibliothèque
du
Congrès)
Système imposé
compatible avec la
nature et l'état des
articles
Conditions
d'accès?
Définies par la
politique appliquée, la
disponibilité des
copies, les droits
d'auteur et les
obligations
contractuelles
Définies par la
politique de l'institution,
la législation
applicable
et les conditions
stipulées par le
donateur ou le
déposant
Définies par la
politique
appliquée, le
public ou la
communauté
desservie
Définies par la
politique appliquée,
le public ou la
communauté
desservie
Comment y
trouve-t-on
ce qu'on
cherche ?
Catalogues, listes
renseignements
auprès du personnel
Guides,
inventaires,
autres documents
Catalogues,
recherche libre
sur les rayons,
renseignements
auprès du
personnel
Expositions,
renseignements
auprès du personnel
Où y a-t-on
accès?
Selon la politique
appliquée, les
installations et la
technologie, sur place
ou à l'extérieur
Dans les locaux
de l'établissement,
sous
contrôle
Dans les locaux
ou (pour le
matériel
emprunté) à
l'extérieur
Sur les lieux
d'exposition
Quel est
l'objectif de
l'institution?
Conservation et
accessibilité du
patrimoine
audiovisuel
Protection des
fonds d'archives,
de leur valeur de
témoignage et
d'information
Conservation et/
ou accessibilité
des matériels et
de l'information
Conservation et/ou
accessibilité des
objets et de
l'information
- 86 -
Quelles sont
les motivations
des
visiteurs ?
Recherche, éducation,
loisirs, affaires
Preuve d'actes
juridiques et de
transactions,
recherché, loisirs
Recherche,
éducation, loisirs
Recherche,
éducation, loisirs
Qui s'occupe
des matériels
Archivistes
audiovisuels
Archivistes Bibliothécaires Conservateurs
Remerciements : La conception de ce tableau et une partie de son contenu sont tirés de J. Ellis, dir.
publ., Keeping archives (2ème éd.), D. W. Thorpe/Australian Society of Archivists, 1993.
- 87 -
ANNEXE 3
Rapport de reconstitution
Le mémento qui suit guidera l'élaboration d'un rapport de reconstitution qui documente, à des fins
de référence publique et interne, le travail accompli lors de la création d'une version reconstituée
d'un film, d'un programme radiophonique ou télévisuel ou d'un enregistrement sonore.
Définition
La reconstitution est l'opération qui consiste à créer une nouvelle version d'une oeuvre en
rassemblant des éléments incomplets ou fragmentaires provenant de multiples sources et en les
combinant en un tout cohérent. Elle implique parfois la manipulation importante des images et/ou
des sons ainsi que l'utilisation d'un dispositif d'assemblage et vise à assurer l'accessibilité de l'oeuvre
et, souvent, à la présenter au public. La version reconstituée peut significativement différer de
toutes les versions originales de l'oeuvre. Parce qu'elle est destinée à un public contemporain, son
utilité peut diminuer avec le temps tandis que les goûts du public changent, que les technologies
évoluent et, que d'éventuels nouveaux matériaux sources sont découverts.
La reconstitution se distingue de la restauration – qui consiste à gommer les outrages du temps
subis par une copie de conservation (accrocs, bruits de surface, etc.) mais n'entraîne aucune
manipulation de son contenu.
La conservation des éléments sources utilisés pour la reconstitution n'est pas compromise par
l'opération. Ils continuent à être gardés sous leur forme originale.
Paramètres
Le rapport de reconstitution doit définir les paramètres de l'opération, notamment :
• La finalité et les objectifs ;
• Le public et l'utilisation auxquels est destinée la version reconstituée ;
• Une description détaillée des éléments sources, précisant notamment leur nature, leur état,
leur numéro d'entrée, le nom des archives ou collections sources ;
• Détails complets d'enregistrement pour la reconstitution ;
• Précisions sur les autorisations nécessaires obtenues des titulaires de droits d'auteur et
autres ;
• Identification du ou des responsables de l'opération ;
• Calendrier d'exécution – dates de commencement, d'achèvement et des étapes
intermédiaires clés ;
• Mention de tous les participants et description de leur rôle ;
• Autorisation et approbation finale par l'organe de direction du service d'archives.
- 88 -
Processus
Le rapport doit détailler le déroulement du processus de reconstitution. Elle traitera notamment de
toutes les décisions techniques et artistiques, des recherches entreprises, des opinions émises et des
raisons sous-jacentes. À cela pourront s'ajouter d'autres informations pertinentes, telles que des
références aux publications associées, aux matériels de publicité, aux produits, etc. Il doit être
possible d'étudier le résultat final, avec le rapport, et de comprendre exactement comment ce
résultat a été obtenu.
Information du public
Les présentations publiques ou la distribution de copies de la version reconstituée doivent être
accompagnées d'informations contextuelles complètes. Il faut :
• indiquer que l'oeuvre est une version reconstituée ;
• expliquer en quoi elle diffère de l'original ;
• expliquer succinctement le procédé de reconstitution ;
• fournir un contexte historique ;
• mentionner l'existence du rapport et la possibilité de le consulter.
- 89 -
ANNEXE 4
Bibliographie sélective
BAER N. S., SNICKARS F. (dir. publ.), Rational decision making in the preservation of cultural
property, Berlin, Dahlem University Press, 2001.
CUNNINGHAM Adrian, "Archival institutions", in Michael Piggott et al. (dir. publ.),
Recordkeeping in Society, Wagga [Australie], Charles Sturt University Press, 2004 .
CHERCI USAI Paolo, The death of cinema: history, cultural memory and the digital dark age,
Londres, British Film Institute, 2001.
Burning passions: an introduction to the study of silent cinema, Londres, British Film Institute,
1994.
DERRIDA Jacques, STIEGLER Bernard, Échographies de la télévision, Galilée, Paris, 1996.
ELLIS J. (dir. publ.), Keeping archives (2ème éd.), Port Melbourne, D. W. Thorpe/Australian
Society of Archivists, 1993.
HARRISON Helen (dir. publ.), Audiovisual archives: a practical reader, Paris, UNESCO, 1997-
(CII.97/WS/4).
Curriculum development for the training of personnel in moving image and recorded sound
archives, Paris, UNESCO, 1990 - (PGI.90/WS/9).
KOFLER Birgit, Questions juridiques relatives aux archives audiovisuelles, Paris, UNESCO,
1991 - (PGI.91/WS/5).
KULA Sam, Appaising moving images: assessing the archival and monetary value of film and
video records, Lanham [Maryland], Scarecrow Press, 2003.
NATIONAL FILM AND SOUND ARCHIVE ADVISORY COMMITTEE, Time in our hands,
Canberra, Department of Arts, Heritage and Environment, 1985.
SMITHER Roger, SUROWIEC Catherine A. (dir. publ.), This film is dangerous: a celebration
of nitrate film, Bruxelles, FIAF, 2002.
UNESCO, Recommandation pour la sauvegarde et la conservation des images en mouvement
(adoptée par la Conférence générale à sa 21e session, Belgrade, 27 octobre 1980).
Mémoire du monde : Principes directeurs pour la sauvegarde du patrimoine documentaire, Paris,
1995 - (CII-95/WS/11).
Mémoire du monde : Mémoire perdue - Bibliothèques et archives détruites au XXe siècle, Paris,
1996 - (CII-96/WS/1).
- 91 -
ANNEXE 5
Évolution des techniques et obsolescence : quelques exemples
Technique Période de production Situation
Film
70 mm Imax polyester années 80-aujourd'hui Actuel
35 mm nitrate 1891-1951 Obsolète
35 mm acétate 1910-aujourd'hui Actuel
35 mm polyester 1955-aujourd'hui Actuel
28 mm acétate 1912-années 20 Obsolète
22 mm acétate vers 1912 Obsolète
17,5 mm nitrate 1898-début des années 20 Obsolète
16 mm acétate 1923-aujourd'hui Sur le déclin
9,5 mm acétate 1921-années1970 Obsolète
8,75 mm EVR années 70 Obsolète
8 mm standard acétate 1932-années 70 Obsolète
8 mm super acétate 1965-aujourd'hui Obsolescent
Supports sonores mécaniques
et analogiques
Cylindres (empreinte en cire ou moulé) 1876-1929 Obsolète
Cylindres (instantané/dictaphone) 1876-années 50 Obsolète
Disque à gravure en profondeur
(78 tours et similaires)
1888-vers 1960 Obsolète
Disque pressé années 30-années 50 Obsolète
Disque instantané en gomme-laque années 30-années 60 Obsolète
Microsillon années 50-aujourd'hui Obsolescent
Supports sonores magnétiques et analogiques
Télégraphe années 30-fin des années 50 Obsolète
Bobine de bande magnétique 1935-aujourd'hui Obsolescent
Cassette années 60-aujourd'hui Obsolescent
Cartouche années 60-aujourd'hui Obsolète
Supports sonores numériques
Disque compact (CD) 1980-aujourd'hui Actuel
Cylindre de piano (88 notes) 1902-aujourd'hui Sur le declin
Bande audionumérique (DAT) 1980-aujourd'hui Actuel
- 92 -
Vidéo
Bande quadruple 2 pouces 1956-années 80 Obsolète
Format Philips (bobine ½ pouce) années 60 Obsolète
U-matic 1971-aujourd'hui Obsolète
Betemax 1975-années 80 Obsolète
VHS années 70-aujourd'hui Sur le déclin
Betacam 1984-aujourd'hui Actuel
1 pouce A, B, C, D années 70-aujourd'hui Sur le déclin
Vidéo 8 1984-aujourd'hui Actuel
Disque laser analogique années 80-aujourd'hui Obsolète
DVD 1997 Actuel
Vidéodisque années 90 Actuel

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